Denis  TILLINAC

 

 

 

           SA VISION  

                                                         

 

    FIGAROVOX. - Invité dans l'émission de Laurent Ruquier ce samedi pour présenter votre nouvel essai, Du bonheur d'être réac, vous vous êtes heurté à un Aymeric Caron particulièrement agressif. Avez-vous été surpris par l'hostilité du plateau à votre égard ?

  
Denis Tillinac. - Un écrivain classé à droite ne peut s'attendre à de la bienveillance sur une chaîne publique surtout lorsque la gauche est au pouvoir. Passe encore d'être traité de « vieux con » par l'animateur pour un passage de mon livre où j'ironise sur l'obligation de parité des listes aux municipales.

   Mais la haine d'un intervenant, ces amalgames vicieux, son manichéisme brutal, le choix même des mots visant à occulter le sens et l'esprit de mon livre trahissent une accointance avec les procédés de la propagande des régimes totalitaires.
  Ça fait un peu froid dans le dos. On n'aimerait pas que cet idéologue ait des pouvoirs de justice ou de police.

   Votre utilisation de l'expression « Français de souche » a déclenché la polémique. Assumez-vous ?

  Que mon évocation des « Français de souche » pour défendre Alain Finkielkraut ait suscité une réaction aussi hostile confirme l'existence d'une idéologie de l'indifférencié : déni de toute mémoire collective, de tout ancrage dans une histoire-géo. La France doit être un openfield où des minorités sont appelées à promouvoir un cosmopolitisme hors sol.

   Les allusions méprisantes à notre fonds de ruralité attestent un refus viscéral névrotique de prendre la France pour ce qu'elle est : un pays foncièrement sédentaire qui au fil des âges a accueilli et assimilé de nombreux immigrés et non pas un pays d'immigration comme le Brésil, les USA ou le Canada.

   Ces Français de souche (80 % des citoyens de notre pays) doivent savoir que leur patriotisme sentimental, culturel et spirituel est considéré comme une vieillerie bête et nocive. Et en tirer les conséquences.
 

 

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    L'envie de tout faire valser


  Du désir en politique. Des plus nobles aux plus inavouables, les raisons de vouloir tout faire valser son légion !

 Les penseurs libéraux ont souvent ce travers de postuler que les choix politiques sont motivés exclusivement par l'intérêt économique. Pourtant, leur maître, Tocqueville, avait prédit qu'à l'ère de a démocratie de mass, l'envie serait un mobile déterminant. La fascination pour la gloire en est un autre. Elle permit à Napoléon de sacrifier impunément des Français par centaines de milliers et ceux qui en réchappaient, plus ou moins éclopés, s'enorgueillissaient d'avoir été de la chair à canon à Austerlitz, à Wagram, à Friedland, à Moscou.

  Le sentiment de l'ennui fut à l'origine des évènements de Mai 68 si l'on en croit l'éditorial célèbre de Viansson-Ponté au mois de mars de la même année, dans un pays libre, respecté et prospère.
" La rance s'ennuie ", écrivait-il. L'ennui, la peur, la colère, la honte, la hantise du déclassement, la " fatigue d'être soi " diagnostiquée par le sociologue Ehrenberg, la soif d'aventure peuvent également inciter un peuple à ruer dans les brancards au mépris de ses intérêts. Ou de ce qu'il croît être ses intérêts.

  Par les temps qui courent, un désir politique semble habiter à des degrés divers l'inconscient des Français, et peu à peu gagner leur conscience : l'appel de la catastrophe. Du grand chambardement. Du coup de pied dans la fourmilière. Ce désir, aucun sondage ne le détectera. Il a des précédents historiques. L'évènement le plus imprévisible, le fait divers le plus anodin peuvent l'embraser, et gare à l'incendie !
 
  C'est un désir presque invincible, car enfanté dans les fors intimes par un mélange d'exaspération et d'incrédulité. On ne supporte plus l'état des lieux et on ne croit plus qu'un remède proprement politique soit susceptible de le modifier. A la limite on veut le pire, il aura au moins le mérite de surprendre en rompant la monotonie. De rebattre les cartes, et rabattre les caquets en prime.

  Ici et là, des gens raisonnables et pas forcément miséreux, habitués à voter pour les partis dits de gouvernement - UMP, PS, MoDem, avouent en privé leur aspiration au désordre. Il en sortira, estiment-ils, quelque chose d'inédit. Quoi ? Ils l'ignorent. Ils s'en fichent ; tout ou son contraire plutôt que ce statu quo nauséeux. Brûler les cartouches est un sport qui a partie liée avec la transgression, ça les érotise. Ils en escomptent au minimum le plaisir d'assister en live à la trouille des gouvernants et de leur valetaille.

  Mille raisons peuvent expliquer l'essor du FN dans les urnes et, certes, on ne peut nier une part d'adhésion aux thèses de ce parti. Mais on aurait tort d'occulter cette évidence que la peur du FN, la violence de son rejet par les politiciens, les intellos et les médias nourrissent un désir de FN en phase avec le désir plus profond d'en découdre avec le " système ". Avec des mœurs combinardes maquillées en " démocratie " dans le vase clos de partis démonétisés. Avec un langage politico-mondain dont les mots sont pipés par le cynisme des communicants.

  Quand la charmante Marion Maréchal-Le Pen, du haut de ses 25 printemps, apostrophe sans ménagement le Premier ministre à l'Assemblée, une France frondeuse se réjouit à cœur ouvert et ses contours vont très au-delà des sympathisants du FN. Le pauvre Valls incarne moins le PS, le gouvernement, l'autorité publique que l'usure d'une machinerie respectée par personne.
 
  Quand les crimes des terroristes islamistes font l'objet d'une récupération partisane aussi grossière, avec l'aval de l'opposition officielle (" esprit du 11 janvier ", " Je suis Charlie ", … etc.) et la rengaine sémantique de socio-culs sur le " vivre-ensemble ", le respect n'est plus de mise. Les Français subodorent qu'on les manipule et très logiquement, ils prennent la mouche.

  Je ne prêche pas une sédition à bien des égards proche du nihilisme, j'essaye juste d'interpréter un état d'esprit qui manifestement prend de l'ampleur.
  Les historiens à venir pèseront la part de responsabilité respective d'une gauche aux abois et d'une droite aux abris.
 
  L'histoire nous enseigne qu'il n'en faut pas beaucoup pour que la France sorte de ses gonds, tant la légitimité du pouvoir est sujette à caution, et presque naturelle, depuis la Révolution, la quête de l'homme providentiel.
  Faute d'un Bonaparte ou d'un de Gaulle, elle peut s'offrir au premier démagogue venu.
On en est presque là.
  (Avec l'aimable autorisation de Valeurs actuelles, 26 mars 2015).

 

 

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