Philippe MURAY                              

                          

                SA VISION

  

"Je récapitulerai

Les catastrophes

Et je les chanterai

Strophe par strophe"

 


 
 Disparu en 2006, l'essayiste Philippe Muray est plus présent que jamais. Avec Fabrice Luchini, qui lit ses textes au théâtre, ou dans Essais, le volume de ses oeuvres.
  

      Florilège de ses flèches assassines.

 
   Angot (Christine) " Dans la post-littérature contemporaine, elle occupe avec énergie la place toujours vide et toujours respectée des handicapés sur les parkings d'autoroutes ou de supermarchés. "

   Arte " Par où agripper toutes ces vieilles choses lentes et grises, ces documentaires de patronage, ces soirées diapos, toute cette poudre aux yeux de fausse créativité, tout ce pénible moulin à prières et à contre-emploi, toutes ces litanies franco-protestantes ou mormones, à longueur de soirées, la bien-pensance culturelle la plus confite en dévotions ? "

   Céline (Louis-Ferdinand) " Les écrivains tombaient comme des mouches, remplacés par les " auteurs ", ces espèces de techniciens de surface du supplément d'âme préfabriqué [...]. Avec Céline, l'outrage avait commencé à devenir récit. L'offense conduisait le bal. La complexité de l'humanité se réorganisait dans la trame radieuse d'une tapisserie d'injures. On pouvait le continuer, les motifs ne manquaient pas. Ils manquent moins que jamais aujourd'hui. "

  Chateaubriand (François-René) " [Dans les Mémoires d'outre-tombe], Chateaubriand fait sans arrêt semblant d'être mort pour mieux planer, par anticipation, au-dessus des vivants qui vont venir après lui, et éventuellement le lire en l'aimant, en le détestant, peu importe, ce qui compte, c'est qu'on ait la trace, là, qu'on ait la preuve que quelqu'un a joui de ce qui n'est plus, de ce qu'il a vu ne plus être et qu'il l'a écrit, en disant que lui-même n'était plus, et que tout cela fasse, autour de ses dépouilles anticipées, un ensemble littéraire aussi prodigieusement vivant qu'amusant. "

  Duras (Marguerite) " N'ayant plus rien lu d'elle depuis mille ans, j'avais l'esprit frais pour écouter cette Bouche d'Ombre de l'Ecrit Primal, et entendre comme il le mérite son discours sans bords, [...] ces confettis de rien perpétuellement imposés comme un mystère profond, ces vagues lourdes et noires d'inepties (" On vit dans un bruit d'automobiles, à Paris, est-ce que vous saviez ça ? "), cette nuit sans rivages, ces remarquables préhistoriques (" le son des mots, c'est la voix "), ces insultes sans risques (" Vous avez vu la tête qu'il a, Balladur ? [...] "), ces scoops infantiles (" Je suis mitterrandienne, tout le monde le sait ; lui, il est durassien "), ces diagnostics écoeurants (" La droite est atteinte d'une faiblesse du sang "), ces brouillons du néant, cette chose informe et sans âge progressant reptiliennement dans les ténèbres de fin du monde vers la patrie inaudible du volapük chuchoté et pythonnistique. Bref, la littérature en personne. Littéralement et dans tous les sens. La littérature selon la télé. "

   Emplois-jeunes " Un bataillon d'agents de développement du patrimoine ouvre la marche, suivi presque aussitôt par un peloton d'accompagnateurs de détenus. Puis arrivent, en rangs serrés, des compagnies d'agents de gestion locative, d'agents polyvalents, d'agents d'ambiance, d'adjoints de sécurité, de coordinateurs petite enfance, d'agents d'entretien des espaces naturels, d'agents de médiation, d'aides-éducateurs en temps périscolaire, d'agents d'accueil des victimes et j'en passe. [...] Il s'agit du rassemblement imaginaire de tous les nouveaux " emplois jeunes " de Martine Aubry, [...] une sorte de Halloween à l'échelle nationale, une Love Parade en plein Paris, une Job Pride, pourquoi pas ? "

   Fête (la) " Si tu ne viens pas à la fête, la fête viendra à toi. " C'est l'exacte traduction moderne, ou la paraphrase candidement actualisée, et géographiquement amplifiée, de ce qu'annonçait je ne sais plus quel dignitaire nazi juste après l'arrivée de Hitler au pouvoir : " A partir d'aujourd'hui, plus personne en Allemagne ne sera seul. " A cet avertissement infâme, on s'est simplement chargé, comme au reste, de mettre un nez rouge. "

   Sourire de Ségolène Royal (le) " C'est un spectacle de science-fiction que de le voir flotter en triomphe, les soirs électoraux, chaque fois que la gauche, par la grâce des bien-votants, se trouve rétablie dans sa légitimité transcendantale. On en reste longtemps halluciné, comme Alice devant le sourire en lévitation du Chat de Chester quand le Chat lui-même s'est volatilisé et que seul son sourire demeure suspendu entre les branches d'un arbre. On tourne autour, on cherche derrière, il n'y a plus personne, il n'y a jamais eu personne. "

 (l'express/culture/livre/philippe-muray-en-huit-vacheries).