Richard MILLET  

 

 

 

     SA VISION

 

 

  Sur son blog, il a été l’un des premiers à écrire qu’il n’était pas Charlie. Romancier, essayiste, polémiste, Richard Millet est de ces écrivains francs-tireurs dont la critique de l’idéologie dominante indigne et révolte les gentils et les bien-pensants. Sa mise à mort médiatique en 2012 et son départ de chez Gallimard, suite à la publication de son éloge littéraire d’Anders Breivik, en dit long sur cette « liberté d’expression » chérie par la France depuis l’attentat contre Charlie Hebdo…

  Depuis l’attentat de Charlie Hebdo, on assiste au déploiement d’une effarante propagande où il n’est question que de liberté d’expression. Que vous inspire la pseudo-unité nationale qu’elle suscite, vous qui avez été condamné à mort socialement et médiatiquement pour vos écrits ?

  Ce genre d’unanimité ne peut se faire, comme René Girard l’a montré, qu’au détriment de quelques-uns. La prétendue recomposition nationale qui a eu lieu après les meurtres de Charlie Hebdo nous dit deux choses : d’abord qu’elle n’aurait pas été aussi grande si les victimes n’avaient pas été des journalistes (les meurtres de Toulouse et de Montauban, il y a deux ans, pourtant de même nature, n’avaient pas suscité un pareil émoi) ; il est vrai, ces journalistes appartenaient à l’extrême-gauche, celle-là même qui clame qu’il n’ y a pas encore assez d’immigrés, pas assez d’« Europe », et qu’il faut en finir avec les nations. D’autre part, cette unanimité s’est faite au détriment même de la « liberté d’expression », c’est-à-dire de ceux qui, Français de souche et catholique sont constamment insultés par Charlie Hebdo. Il en va de cette liberté comme de la « tolérance » : elle est une arme de contrôle, pour le pouvoir médiatico-politique qui trouve à présent chez Zemmour, Camus, Finkielkraut et moi-même des « responsabilités » dans le climat d’ « islamophobie » qui fait des musulmans les victimes d’un « amalgame », d’une « stigmatisation » (ces mots ayant remplacé celui, dévalorisé, de racisme). Le serpent socialiste se mord d’ailleurs la queue : son discours rejoint ici celui des islamistes prétendus « modérés ».

  La religion républicaine peut-elle s’aveugler encore longtemps sur le fait qu’elle n’est qu’un dangereux simulacre ? Est-ce finalement l’islam qui va le lui apprendre ?

  L’islam, dans sa violence comme dans ses conquérantes prétentions juridiques, a le mérite de rappeler, involontairement, que la classe politique joue, depuis une trentaine d’années, avec le feu immigrationniste. Soyons réalistes ; il y a une bonne immigration : celle qui veut s’assimiler, et une autre, problématique, généralement musulmane, qui trouve dans le multiculturalisme une citoyenneté minimaliste.
  Je suis « français » faute de mieux (faute d’être américain, par exemple, ou de vivre selon la charia), peuvent se dire les jeunes immigrés. L’islam est, pour beaucoup, un ordre politique avant d’être une religion, comme l’a rappelé Houellebecq dans son roman Soumission. Tout cela occulte le fait majeur : la déchristianisation de l’Europe, dont la religion laïque ou celle des droits de l’homme ne peut plus masquer qu’elle fait le lit de l’islam, lequel a horreur du vide religieux. Et si les catholiques ont montré qu’ils sont une force puissante lors de la Manif pour tous, cette force ne semble pas avoir, hélas, d’avenir politique. Les socialistes continuent leur œuvre de destruction, cette forme de guerre civile, commencée en Vendée, en 1793.

   Pensez-vous qu’il soit plus difficile d’écrire en France qu’ailleurs ? Depuis votre mise à l’écart, constatez-vous un durcissement de la bien-pensance, ou au contraire, son affaiblissement … ?

   Certains sont sauvés par les institutions (Finkielkraut) ou par leurs ventes (Zemmour). D’autres, comme Renaud Camus ou moi, qui vivons dans la haine médiatique, sont désormais voués à publier chez de petits éditeurs (les grands ne prenant plus aucun risque) ou à se publier eux-mêmes. La liberté d’expression est donc infiniment surveillée, et mesurée comme la liberté conditionnelle. Il n’y a plus de débats, ce qu’on appelle ainsi, dans les médias, n’étant qu’un faux-semblant destiné à nourrir les « talk shows » et à faire croire qu’on vit « en démocratie », et donc « libre » de parler. Plus on se dit sans concession, ou de référence, comme Arte ou Le Monde, plus on fait allégeance au grand Consensus de la Propagande qui consiste à inventer, comme le Nouvel Observateur, une sphère « néo-fasciste » qui créerait un climat rappelant les années « 1930 ». Ces fariboles montrent en réalité que le Système a élevé le mensonge au rang de vérité. Pour paraphraser une formule célèbre, je dirai que tout étant inversé, le vrai n’est plus qu’un moment du simulacre médiatique.

  Pourquoi, selon vous, la littérature tend-elle à disparaître du monde précisément à notre époque ?

  La littérature se porte d’autant mieux qu’elle se « démocratise », prétend la clique médiatico-littéraire. Tout le monde veut écrire. Les ateliers d’écriture fleurissent, laissant croire qu’il y a des « recettes » pour écrire. Les romans abondent, insignifiants, illisibles pour la plupart. Le nombre, vous le savez, est un signe du Démon. En réalité, la littérature se porte mal ; les lettrés, les « gros lecteurs » ont presque disparu ; et la génération de moins de trente ans ne lit pas.
  Le signe le plus sûr de cette disparition programmée est la dégradation de la langue, à peu près évacuée de l’enseignement public, et que les romanciers contemporains ne connaissent presque plus – ce qui oblige les éditeurs à réécrire « leurs » livres. Cette inflation romanesque, ce triomphe du roman international, cette production qui ne cesse de se plagier elle-même, voilà ce que j’appelle la post-littérature, laquelle est concomitante de la fin du christianisme, des nations, du refus d’hériter, de la culture à présent remplacée par le « culturel ».

   Pensez-vous que le propre de notre civilisation post-moderne soit de produire du vide ? L’écrivain, qui produit du sens, serait-il condamné par essence ?

  La civilisation post-moderne, post-historique, post-chrétienne ne produit pas du vide : elle est le vide, la jouissance du vide, du présent perpétuel, du light, de l’insignifiant, de la « glisse », de l’absence de mémoire, etc. Le multiculturalisme d’état est un des visages de ce vide. à la différence du romancier consensuel ou du propagandiste littéraire, l’écrivain doit sans cesse redéfinir sa condition : le terrain sur lequel il s’avance est infiniment piégé par le Spectacle qui tente de le récupérer, comme il l’a fait pour Debord et pour Muray. L’écrivain vit dans une époque si trouble, si inquisitoriale, si judiciarisée qu’il ne peut être qu’un solitaire, un franc-tireur. Tout le condamne, mais il écrit à partir de cette condamnation même…

 (Publié dans le numéro de février 2015 de Politique magazine).
 


      

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  22/06/2015

  Chronique n°32



   
Waterloo



  Il y a quelque chose d’obscène dans le fait que, sur un continent ravagé par le chômage et une crise spirituelle sans précédent, plusieurs pays aient mobilisé à grands frais 6000 hommes et je ne sais quel matériel pour reconstituer in situ, ce week-end, la bataille de Waterloo. Cette commémoration à grand spectacle est parfaitement révélatrice de notre époque : haine de l’epos et de la grandeur, haine de la France à travers le personnage de l’« ogre » Napoléon contre lequel l’unanimité est si facile, un folliculaire du Soir, à Bruxelles, se croyant même tenu de voir dans l’absence des dirigeants français à ce spectacle le signe que notre pays vit toujours dans le déni (Vichy, la guerre d’Algérie !). Laissons cet insecte crisser sur les dégâts écologiques occasionnés par une reconstitution qui s’inscrit dans la dineylandisation de l’Histoire, déjà mise en place lors des cérémonies du « D-Day », l’an dernier, sur les plages de Normandie.

  Commémorer de la sorte la victoire de Waterloo est en réalité le signe d’une défaite : celle d’une Europe désormais incapable de transmettre l’héritage historique autrement que par la reconstitution en « live », le spectacle, le simulacre – le syndrome du Puy du Fou atteignant la vérité historique pour soumettre celle-ci à la version communément admise par l’historiographie de la Commission européenne.

  C’est donc à une défaite culturelle et politique qu’on a consacré des millions d’euros, ce week-end, dans la morne plaine de Waterloo, en cette Belgique qui n’est plus qu’une fiction de nation, comme d’ailleurs la plupart des autres pays européens, et cela pendant qu’avait lieu, en France, la non moins obscène « fête de la musique », que les « migrants » continuent d’affluer en Europe, que la Grèce, aux mœurs politiques plus proche du Liban que d’un pays européen, se trouve acculée à rembourser ce qu’elle n’a pas, que les Danois ont élu des « populistes anti-immigration », au grand dam de la presse française qui juge qu’ils ont « mal voté », et que le vagin d’Anish Kapoor était vandalisé, à Versailles, sans qu’on puisse s’interdire de se demander s’il ne l’a pas été par les services culturels eux-mêmes, dans l’espoir de créer un mouvement de sympathie en faveur d’un artiste sur lequel toute la presse s’est pourtant penchée avec émoi, nul ne revendiquant d’ailleurs le compissage à la peinture jaune, et nul ne s’en souciant, comme si l’installation de ces œuvres s’accompagnait maintenant de leur vandalisation obligée, en quoi se révèle leur insignifiance, la reconstitution de Waterloo et le vagin de Kapoor montrant deux faces particulièrement pornographiques du pouvoir culturel.

 

 

 

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    7/05/2015

   Chronique n° 27



      
 De l’histoire



   Le vacarme qu’on entend à propos de la réforme du collège fait oublier qu’il ne dépend pas de son application que les élèves soient moins instruits : il y a longtemps qu’ils ne savent plus grand-chose, que ce savoir obéit au principe d’incertitude et de flottement qui caractérise l’enseignement public, dans son ensemble, et particulièrement un de ses produits que sont les écrivains postlittéraires, dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils n’ont aucun sentiment de leur langue ni de l’histoire de France. Ceux qui braillent contre la réforme oublient trop volontiers qu’ils ont accepté, voire promu les précédentes, qui n’étaient pas moins désastreuses.

  Dans ces réformes, la langue a été sacrifiée sur l’autel de la bienveillance psychologique qui a aboli la tolérance zéro en matière d’orthographe. « Vous ne savez pas écrire ? Supprimons la correction orthographique, et exprimez-vous librement… » prônent les Lyssenko de la recherche pédagogique.

  Comment est-il, en effet, possible d’inculquer rien de solide et de vertical à de jeunes esprits dépourvus d’armature syntaxique, et par ailleurs soumis, ces esprits, à l’intense propagande du Bien ? Pourquoi enseigner le latin, le grec, alors qu’on n’enseigne plus qu’un état laxiste (« tolérant ») du français qui a dès lors la valeur d’une dent branlante dans une bouche impropre à mastiquer ?

  Il en va de même pour l’histoire. Pourquoi s’indigner de ce que la Propaganda Staffel du Conseil national des programmes veuille en finir avec le « roman national », décrété « réactionnaire » (lisez : incompatible avec les musulmans), en un pays qui n’a plus rien d’une nation ? Il y a belle lurette que ce roman-là n’est plus qu’un objet de dépit historique, et le peuple français en proie à une schizophrénie post-républicaine qui tente de faire coexister une population qui ne cessera jamais d’immigrer en elle-même et des indigènes dépossédés de soi par ceux qui prônent un « vivre ensemble » à valeur d’apartheid communautariste.

  La schizophrénie est le nom clinique du grand déni qui ronge la gauche française, et une manière de gouverner cap au pire, comme le montre le voyage du chef de l’Etat dans les Caraïbes : un grand moment de political correctness, donc d’insignifiance politique, dont la rencontre d’une heure avec Fidel Castro a été le clou. Il semble que ce voyage n’ait eu d’autre but que la rencontre entre un mort-vivant vêtu d’un infâme survêtement et d’un président au teint vermeil, qui a cherché son quart d’heure de gloire historique, oubliant ce qu’a été le régime castriste, les mises à mort, la chasse aux intellectuels, aux homosexuels, aux déviants… La vice-présidente Royal a beau clamer que Castro est « un mythe », que « c’est plus fort que la politique », et le locataire de l’Elysée qu’il voulait « avoir ce moment d’histoire », comme un petit garçon qui joue avec le pistolet de son père, arguant, en un solécisme tout à fait digne de l’école selon Mme Belkacem, que « Quel que soit ce qu’il a fait, il est dans l’histoire » (sic), cette visite au caudillo de La Havane permet de comprendre pourquoi le roman national est impossible : la laideur de Hollande l’interdit, son inculture aussi, et bien sûr la révélation de son goût pour les dictateurs, ceux de gauche, évidemment, qui lui permet de passer une heure avec Castro tout en travaillant à chasser Assad du pouvoir et de faire la leçon à Poutine.

  Le moment d’histoire de Hollande n’est qu’une manière d’entériner la sortie de l’histoire, rendant donc inutile l’enseignement de cette matière.



 




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    12/07/2015


    Chronique n°35



       
Double lobby



  Le visage lippu et jovial du gauchiste Tsipras occupe à ce point le devant de la scène médiatique que tout le reste passe au second plan : manière d’entretenir la farce politico-financière qui consiste à faire comme si la Grèce existait encore en tant que nation – question qu’on peut d’ailleurs poser à propos d’autres nations européennes, déchirées entre l’immigration de masse et les diktats de Bruxelles et du FMI, les peuples n’existant plus que dans un cadre dénationalisé, comme des faisans d’élevages lâchés dans un « espace-nature » où ils ignorent qu’il existe des prédateurs. La « crise » grecque montre en tout cas que le « vivre ensemble » européen ne fonctionne pas mieux que le français, l’Europe du Nord n’étant décidément pas compatible avec des pays du Sud, économiquement insignifiants et grandement mafieux, tels que la Grèce, Malte, Chypre, ou puissamment corrompus comme la Bulgarie et la Roumanie.

  Les événements de la semaine ont donc paru sans importance. Cependant, à bien regarder cet organe de la Propagande qu’est Direct Matin (oui, il faut lire de temps en temps ce genre de support publicitaire pour mesurer à quel degré de décadence morale et culturelle sont tombés les Français, comme l’ensemble des Européens), on pouvait voir que la guerre menée par les deux plus puissants lobbies du moment, outre les francs-maçons, continue de plus belle.
  Un « tweet » de Pierre Bergé faisait savoir à la post-nation française que les « réacs » (qui sont-ils ?) « ont perdu et vont continuer à perdre. On veut une GPA éthique. On l’aura. » Nul doute qu’ils l’auront ; mais ce que c’est qu’une « GPA éthique » paraît une telle contradiction dans les termes qu’on y sent pleinement la présence de Satan. La même semaine, la mairie de Paris fêtait dans ses salons la rupture du jeûne musulman, selon les normes soudain variables de la laïcité républicaine, ce qui montre, là, la puissance de l’islamisme, le lobby musulman travaillant par ailleurs à faire qualifier de « génocide » l’épouvantable massacre de Srebrenica. Il n’est pas sûr que, malgré la bonne volonté du Tribunal international de La Haye, il y parvienne, du moins pour cette fois.

   Ces deux lobbies se rejoignent donc dans une alliance objective qui redessine à coups de rasoir législatifs les sociétés occidentales, toujours plus indulgentes dans ses jugements, l’excellent promoteur du vivre-ensemble français Mohammed Achamlane, directeur du bureau d’intégration Forsane Alizza, écopant par exemple de neuf ans de prison, tout comme l’infanticide Cottrez (démoniaque coïncidence !). Quant à la mémoire d’Omar Sharif, la presse s’est bien gardée de rappeler qu’il s’appelait en réalité Michel Chalhoub, qu’il était d’origine libanaise, comme Andrée Chédid et Georges Schehadé, et melkite, c’est-à-dire un de ces chrétiens d’Orient dont on ne veut surtout pas entendre parler.

  On me dit que mon point de vue sur le monde est souvent désespérant ; je terminerai donc sur une note positive : le ministère de l’Education nationale fait savoir que le Baccalauréat de 2015 est « une bonne année », avec le score soviétique de 87,5% de lauréats, sans qu’on révèle que les notes ont été surévaluées, et que l’indulgence est bel et bien un instrument de gouvernement.
 


 

 

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