Richard MILLET                                                        

 

 

             OEUVRES

 

            Publications


1983 : L’Invention du corps de saint Marc, POL

1984 : L’Innocence, POL

1985 : Sept passions singulières, POL

1986 : Le Plus Haut Miroir, Fata Morgana Le Sentiment de la langue I, Champ Vallon

1987 : Beyrouth, Champ Vallon, repris dans Un Balcon à Beyrouth, suivi de Beyrouth ou la séparation, La Table Ronde (2005)

1988 : L’Angélus, POL puis coll. Folio (2001)

1989 : La Chambre d’ivoire, POL puis coll. Folio (2001)

1990 : Le Sentiment de la langue II, Champ Vallon

1991 : Laura Mendoza, POL Accompagnement, POL

1992 : L’Écrivain Sirieix, POL puis coll. Folio (2001)

1993 : Le Chant des adolescentes, POL Le Sentiment de la langue, I, II, III, La Table Ronde puis coll. Petite Vermillon (2003). Prix de l'essai de l'Académie française en 1994

1994 : Un balcon à Beyrouth, La Table Ronde (puis 2005) Cœur blanc, POL

1995 : La Gloire des Pythre, POL puis coll. Folio (1997)

1996 : L’Amour mendiant, POL puis coll. Petite Vermillon (2007)

1997 : L’Amour des trois sœurs Piale, POL puis coll. Folio (1999)

1998 : Cité perdue, Fata Morgana

          Le Cavalier siomois, éditions François Janaud puis La Table Ronde (2004)

2000 : Lauve le pur, POL puis coll. Folio (2001)

2001 : La Voix d’alto, Gallimard puis coll. Folio (2003)

2003 : Le Renard dans le nom, Gallimard puis coll. Folio (2004)

          Ma vie parmi les ombres, Gallimard puis coll. Folio (2005)

2004 : Fenêtre au crépuscule. Conversation avec Chantal Lapeyre-Desmaison, La Table Ronde

         Musique secrète, Gallimard,

         Pour la musique contemporaine, Fayard

2005 : Le Dernier Écrivain, Fata Morgana

         Harcèlement littéraire. Entretiens avec Delphine Descaves et Thierry Cecille, Gallimard.

         Le Goût des femmes laides, Gallimard puis coll. Folio (2007)

2006 : Dévorations, Gallimard,

         L’Art du bref, Gallimard

2007 : Place des Pensées. Sur Maurice Blanchot, Gallimard,

         Petit éloge d'un solitaire, Gallimard, coll. Folio,

        L'Orient désert, Mercure de France,

        Désenchantement de la littérature, Gallimard

        Corps en dessous, Fata Morgana

2008 : L’Opprobre, Gallimard

2009 : La Confession négative, Gallimard

2010 : Brumes de Cimmérie, Gallimard,

         Le Sommeil sur les cendres, Gallimard,

        Tarnac, Gallimard, coll. L'Arpenteur,

        L’Enfer du roman : Réflexions sur la postlittérature, Gallimard,

        Cinq chambres d'été au Liban, Fata Morgana

2011 : Eesti : Notes sur l'Estonie, Gallimard,

         Gesualdo, Gallimard, coll. Le Manteau d'Arlequin,

         Arguments d'un désespoir contemporain, Hermann,

         Fatigue du sens, Pierre-Guillaume de Roux Éditions - Prix des Impertinents 2011,

        La Fiancée libanaise, Gallimard

2012 : La Voix et l’Ombre, Gallimard,

         Lettre aux Libanais sur la question des langues, L'Orient des Livres,

         Intérieur avec deux femmes, Pierre-Guillaume de Roux,

         De l’antiracisme comme terreur littéraire, Pierre-Guillaume de Roux,

         Langue fantôme, suivi de Éloge littéraire d’Anders Breivik, Pierre-Guillaume de Roux,

         Printemps syrien, Ducasse & Destouches,

         Esthétique de l’aridité, Fata Morgana

2013 : Une artiste du sexe, Gallimard,

         L’Être-bœuf, Pierre-Guillaume de Roux,

         Trois légendes, Pierre-Guillaume de Roux

2014 : Charlotte Salomon précédé d'une lettre à Luc Bondy, Pierre-Guillaume de Roux,

         Lettre aux Norvégiens sur la littérature et les victimes, Pierre-Guillaume de Roux,

         Sous la nuée, Fata Morgana?

         Le Corps politique de Gérard Depardieu, Pierre-Guillaume de Roux,

        Sibelius : Les Cygnes et le Silence, Gallimard, prix de littérature André-Gide (2015),

        Chrétiens jusqu'à la mort, suivi de : Le Liban dans l'œil du cyclone, L’Orient des livres

2015 : Dictionnaire amoureux de la Méditerranée, Plon,

         Solitude du témoin, Léo Scheer,

         Un sermon sur la mort, Fata Morgana,

         Tuer, Léo Scheer


      
Livres d'artiste, livres illustrés

2000 : Autres jeunes filles, dessins d'Ernest Pignon-Ernest, éditions François Janaud

2006 : Sacrifice, sur des photographies de Silvia Seova, L'Archange Minotaure,

          Le Cri, avec des gravures de José San Martin, Azul éditions

2008 : La Muraille de houx, illustrations et mise en page de José San Martin, Azul éditions,

          Autres jeunes filles, illustrations de Sarah Kaliski27, Fata Morgana

2009 : « Une Sulamite », dans Inconnues corréziennes : Résonance d'écrivains (collectif), éditions Libel


            
 Bibliographie


          Études critiques

2002 : Sylviane Coyault-Dublanchet, La Province en héritage : Pierre Michon, Pierre Bergounioux, Richard Millet, Genève, Droz, 289 p., Vincent Pélissier, Autour du Grand Plateau (Pierre Bergounioux, Alain Lercher, Jean-Paul Michel, Pierre Michon, Richard Millet), Tulle, éditions des Mille Sources.

2007 : Jean-Yves Laurichesse, Richard Millet : L'invention du pays, Amsterdam - New York, Rodopi, 276 p.

2008 : Laurent Bourdelas, Du pays et de l'exil : Un abécédaire de la littérature du Limousin, Limoges, Les Ardents éditeurs. Collectif, Richard Millet : La Langue du roman, sous la direction de Christian Morzewski, Centre de recherche Textes et Cultures, Artois presses université, 180 p.

2011 : Collectif, « Richard Millet », sous la direction de Jean-Yves Laurichesse, Littératures, n° 63/2010, Presses universitaires du Mirail, 262 p.

2012 : Collectif, « Richard Millet : La Gloire des Pythre, Lauve le pur, Ma vie parmi les ombres », dans Christian Morzewski (dir.) Roman 20-50, Septentrion presses universitaires, 157 p.
Ján Drengubiak, Richard Millet : Du personnel vers l’universel, Prešov, Acta Facultatis Philosophicae Universitatis Prešoviensis, 2012, 189 p. (lire en ligne).

2013 Muriel de Rengervé, L'Affaire Richard Millet, éditions Jacob-Duvernet

             
 Revues

novembre 1996 : L'Œil de bœuf, no 11

mai 2000 : Le Matricule des anges, no 30

automne 2001 : La Femelle du requin, no 16

novembre 2007 : La Nef, no 187
 

 

                                                                                                                                              ******

 

 

 

 

   Un jeune homme, Marc, a renoncé à écrire, " écrire n'était pour lui qu'une longue maladie ", et part retrouver deux amis dans un Liban en guerre. Il y eut des moments, pendant la trop longue guerre civile du Liban, où, des deux côtés, des hommes oublièrent ce pour quoi ils se battaient : seule une immense lassitude, ou une manière de fatalité, les retint au combat.
 
  Situation sans doute remarquable, et ni moins tragique ni plus absurde que celle qui conduit Marc à chercher dans des circonstances excessives (la guerre civile libanaise, la maladie, la déréliction) non pas des raisons d'exister mais, si l'on peut dire, des preuves qu'il a existé : comme si avec le simple fait d'avoir conclu - mais trop tard - à la possibilité de vivre commençait le destin (paradoxal, insoutenable et peut-être exemplaire) d'un jeune occidental d'aujourd'hui.


 (L'invention du corps de saint Marc).

 

 

 

 

 

 

    Sans doute sommes-nous peu enclins à admettre que nous naissons tous coupables et que nous passons notre vie à identifier, reconnaître ou ignorer notre faute. L’infamie et l’abjection nous sont si familières que l’innocence – cet extrême, frémissant, secret – semble devenue notre part obscure, sinon maudite.

   Peut-être les personnages dont on lira ici l’histoire ne s’y résignent-ils pas ; leurs faits et gestes, tant dans la Presqu’île, leur pays natal, qu’en France, pourront paraître excessifs, paradoxaux ou même symboliques ; mais cette histoire ne se veut pas exemplaire ; tout au plus la définira-t-on comme un drame ordinaire suscité par des situations déconcertantes, ambiguës, voire d’exception.

  (L'innocence).

 

 

 

 

 

 

 

 

  Ces sept récits évoquent des existences entières, silencieusement brûlées : un habitant d'une cité austère se penche sur la vie et la mort d'une servante ; un adolescent qui semble n'être plus que parole avoue les raisons qui lui ont fait quitter notre monde ; un villageois amoureux de cartes de géographie se laisse emporter par l'amour de la grandeur impériale.

  Les autres récits saisissent les personnages à des moments décisifs de leur vie. Petites ou obscures, étranges, secrètes, dérisoires même, impérieuses, ces passions ont en commun l'impossibilité de l'amour : les personnages tentent avant tout de mettre fin à une souffrance, à un mystère, aux inévitables malentendus de la parole ; certains se rapprochent d'eux-mêmes - mais trop tard, la plupart se délivrant en se perdant.

  (Sept passions singulières).

 

 


 

 

 

 



« On n’élève pas de tombeau à une langue. Au contraire des vivants, les langues ne retournent point au silence. Aux mille bruissements dont, parfois exemplairement, elles se sont distinguées, elles finissent par se confondre. Comme les vies, comme les rires, comme les siècles, elles ne sont que d’assez brefs intervalles entre les vents éternels ».

 « En fine proses, comme autant de stèles en un cimetière peu à peu livré à la jachère, et que ne hantent plus que quelques amoureux en proie à leur “ inhabileté fatale ”, Richard Millet dresse le monument d’un sentiment, ébauche, ébranle, d’une touche légère, le mythe à venir d’Eurydice, et le fait naître des profondeurs de l’âme, d’une langue ignorée.

  Ainsi l’écrivain est tour à tour Orphée et Eurydice. Orphée lorsqu’il énonce la mort de cet occitan régional mais Eurydice lorsqu’il énonce en fait l’adieu à ce qui le constitue lui-même, c’est-à-dire sa propre langue, le français. » (Benoît Conort).

  (Le plus haut miroir).
 

 

 

 

 

 

 

 

 
  « Vivre à Beyrouth, c’est, acculé à la mer, entretenir cet inlassable questionnement, spirituel et politique, sur l’Occident et l’Orient. C’était aussi, pour un enfant, sentir s’éveiller la

nécessité de la solitude montagnarde, le désir de s’élever, de colline en colline, comme en soi-même, jusqu’aux plus hautes cimes – vers ces sommets rocailleux et enneigés d’où l’on peut

apercevoir ceux de Chypre, vers ces altitudes où se dessine comme une ligne de partage entre les trois vertiges de la mer, du ciel et des peu lointains déserts de Syrie »

 (Beyrouth, Champ Vallon 1987).



 

 

 

 

 

 

  Et si la création artistique reposait sur une imposture ? L'un des plus beaux mythes antiques nous rappelle qu'il est dangereux de regarder derrière soi. Le regard qu'un jeune compositeur porte ici sur sa vie semble n'avoir d'autre but que d'en finir avec soi comme avec toute Eurydice : d'en finir avec une illusion qui aurait ruiné sa vie.

  En nous livrant son autobiographie, ce musicien entre dans le désœuvrement ; il met à jour les mécanismes de son imposture avant de s'abandonner à l'hébétude qui suit tout renoncement, à une sorte d'angélisme, à une délivrance infinie.

  (L'angélus).

 

 

 

 

 

 

 

  « J’ai cru, lorsque j’écrivais ce livre, que je luttais contre le sommeil, qu’il me fallait le lui dérober. J’ai même pu me croire maître de mon temps, voire du Temps.

  Je ne m’apercevais pas que c’était le sommeil qui me donnait ce livre : un sommeil sans rêves, dont la profondeur soulignait les visages, les actes et les passions de personnages qui

 errent des chambres provinciales de l’enfance à l’étouffoir parisien, et des ciels crus d’Ibiza ou de Scyros à la demeure première. »

 (La chambre d'ivoire).

 

 

 

 

 

 

 

 

 Un livre comme Mallarmé disait ne pas les aimer - « épars et privés d'architecture ». Il en publia néanmoins un volume et Valéry, plusieurs : livres issus d'occasions et de carnets divers, constituant ce qui n'est ni vraiment un genre littéraire ni un simple rassemblement d'écrits, mais un mélange.

  La langue, la musique, la peinture, l'enseignement, la Corrèze, les mystérieuses architectures du sonore et du silence dans la mémoire : tels sont les points d'intensité, ou d'attraction, que nous ressassons ou qui nous hantent et que ce livre ne saurait épuiser.Prix de l'essai de l'Académie françaisse 1994

 Ce volume reprend les mélanges parus respectivement en 1986 et 1990. Le Sentiment de langue III, inédit, sera modifié dans l'édition définitive de 2003

   (Le sentiment de la langue I, II et III).

 

 

 


 

 

 

 

  Sandra, la narratrice effacée, simple lectrice d'un récit dont elle fut le témoin, rapporte l'amour de Laura Mendoza et de son professeur de lettres, Marc Fournol. Ce professeur pousse Sandra à prendre la parole pour l'aider à surmonter la médiocrité de son propre récit, qui acquiert, par cette mise en abyme, une profondeur et dévoile une réalité à valeur quasi documentaire sur la vie de ces jeunes exilées latino-américaines à l'image de Laura Mendoza.

  « Pendant une année, j'ai regardé naître, croître et finir ce qu'il me faut bien appeler un amour - dans une distance qui fut, pour Laura comme pour moi, la plus singulière des proximités. Nous n'avons peut-être cherché qu'à saisir ce qui se dérobait, elle dans une sorte de jeu d'une douceur parfois cruelle, et moi dans le trouble, l'émerveillement et, pour m'en délivrer, l'écriture. »

   (Laura Mendoza).

 

 

 

 

 

 

 

  Sirieix, solitaire né en hiver, qui n'aime vraiment que « la littérature, l’hiver et les paradoxes », est-il l’écrivain qu’il prétend être ? Et l’œuvre n’existe-t-elle pas seulement dans le rêve qu’il nourrit d’elle, à quoi il soumet sa vie tout entière, rêve prodigieux et dérisoire où il ne cesse de s’inventer ?

  La lumière qui baigne ce bref récit, écrit dans le respect amoureux de la langue, qui est « l'essence et l'assomption du paysage français », provient tout autant des ciels crus du Limousin qui influent de façon inaliénable sur l'esprit et le corps que de l’éclat sombre d’un personnage qui mêle la morgue à l’humilité, l’imposture à la vérité nue.

 Avec L’Écrivain Sirieix, Richard Millet poursuit sur le mode romanesque de l’autobiographie, mode qui lui est cher, une réflexion sur l’art et la sainteté qui tend toute son œuvre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  Soixante-dix fois Richard Millet s'exerce à l'art du portrait, portraits de jeunes filles, parfois simplement inspirés par le nom : Carine « son vieil or mat », Maud « syllabe close d'un beau mauve », Gisèle « son prénom m'a longtemps caché son visage ».

 Chaque portrait dévoile, à partir d'un événement fortuit, l'essence de ces jeunes filles et de la beauté.

 (Le chant des adolescentes).

 

 

 

 


 

 

 

 

  « J'ai présumé de mes sens. La ville est là, en bas, et le désir que j'ai d'elle et de mon enfance est à présent si calme que je renonce à rien analyser. Je veux me dépouiller de l'homme que je suis devenu.

   Je connais la rigueur de l'attente, la joie austère qu'elle donne. J'ai appris à distribuer dans le temps mes émotions, à ruser avec elles. Je sais me rendre maître de mes heures, tout en observant en moi le triomphe du temps.

  Beyrouth ne se donnera pas d'emblée. Je ne veux pas me heurter à moi-même dans cette nuit où il commence à pleuvoir doucement. »

   (Un balcon à Beyrouth).

 

 

 

 

 

 

 

 

   C’est en Corrèze, sur le plateau de Millevaches, l’histoire de la famille Pythre, une histoire qui va de la fin du siècle dernier à nos jours. Au commencement, il y a André Pythre qui arrive un soir au village, venu d’un canton voisin, le bout du monde, avec une demi-idiote, sa femme ou sa domestique, on ne sait.

   André Pythre est un personnage hors du commun, taciturne et mélancolique, en qui semblent se résumer des siècles de privations et d’entêtement à survivre en même temps qu’une volonté féroce de s’en sortir, d’échapper au nom impossible, au granit, à l’eau, au ciel trop bleu, à la jalousie des autres, à cette terre noire et froide qu’il faut disputer aux genêts, aux ajoncs, à la pierre.

  Mais comment vaincre la « maudissure » qui vous suit, vous et les vôtres, depuis si longtemps, comment vaincre ce qui gît en vous-même et vous entraîne vers le silence et la nuit ?

 (La gloire des Pythre).

 

 

 

 

 

 

 

 

   Carnet de croquis, journal, méditation ? Peu importe, car tout ce qui se lit dans ce texte s’entend musicalement et ces notes sur le désir sont aussi bien de musique. D’ailleurs une allusion à Mozart annonce d’emblée l’air du catalogue qui pourrait suivre. Mais il ne s’agit pas de cela : anonymes ou nommées, si tant de femmes ici traversent le champ magnétique du désir c’est qu’un geste, l’intonation d’une voix, un seul regard suffisent parfois à l’embrasement.

   Et si la dimension érotique de ce livre, son extrême sensualité sont évidentes, il est aussi une réflexion toujours relancée au gré des émotions et des surprises de l’amour. Il est une recherche, la tentative d’élucider le mystère des corps et de leur étreinte. Il va, loin de tout discours, procédant par éclairs, par illuminations, fouiller au plus profond de cette obscurité du vivant qui aime.

  « Je n'ai pas de discours sur le désir, l'amour, l'érotisme. Ce sont là des intensités qui menacent le discours tout en produisant abondamment, dans la fragilité comme dans le stéréotype. Je me propose nu, dans l'ambiguïté de l'ostentation et du dégoût de soi, dans la tendre lueur de la mémoire comme dans l'éclat de ce qui me jette vers les femmes. »

  (L'amour mendiant).

 

 

 

 

 

 

 

  Au milieu des vents, des pluies et des voix sombres des bois du plateau de Millevaches, dans la grande nuit corrézienne, voici l'histoire de trois femmes fières. Yvonne, Lucie, Amélie : les trois sœurs Piale.
 
  Yvonne, l'institutrice, si consciente de son rang, de ses devoirs, et si riche de désirs. Elle incarne le respect, la dévotion aux clartés immuables de l'ordre, de la langue française, du savoir. Lucie, l'innocente, la simple, celle qui est lumineusement belle, un corps comme celui-là on n'en verrait pas même, dit-on, dans les bordels de Brive ou de Limoges, et la plus jolie figure avec ça, et qui ne le sait pas. Amélie, la révoltée, l'orgueilleuse et l'opiniâtre. La sauvage, déchue et triomphante, qui ne pense qu'à l'océan et aux grands bois.

  Trois vies de femmes : l'interminable déception, les rêves qui se brisent comme de la vaisselle, un goût de vieille neige dans la bouche, et toutes ces chambres où l'on n'arrive pas à se réchauffer, l'enfance perdue, la stupeur, l'incrédulité devant le temps qui a passé, les rires blancs, l'acceptation de la mort et du recommencement, même s'il n'y a ni commencement ni fin, mais seulement ce don, ce versement de sang, cette cascade qui tombe d'être en être, interminablement.

 (L'Amour des trois soeurs Piale).

 

 

 

 

                       

     

 

  Cité perdue est un récit de voyage, d'un retour à Istanbul, la ville aux trois noms. Richard Millet a quitté le Liban en 1967. En 1995, il retourne en Turquie et visite la cité perdue dans un voyage littéraire.

 Ce n'est pas la nostalgie qui l'accompagne, c'est la langue et les synesthésies.

  (Cité perdue).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  Elle est la bête et le cavalier, elle s'enfonce, à cheval sur l'être et l'espace, dans la chair du monde, vers un père aussi lumineux que le Graal : belle silhouette donquichottesque s'initiant au mystère de la vie, dilapidant l'inépuisable trésor de l'espérance et découvrant la force des sortilèges.

  (Le cavalier siomois).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

   Il est professeur dans une banlieue difficile de Paris. Mais ses racines plongent au cœur de la province française : le Limousin, cette Corrèze des Piale, des Pythre, de tous ceux qui se débattent contre la maudissure.

   Dans ses classes les enfants sont durs et violents, peut-être le sont-ils d’autant plus qu’il est, lui, resté un enfant, l’enfant soumis d’un père tyrannique qui n’aime rien tant que contempler ses propres excréments tout en rêvant de forêts légendaires, l’enfant abandonné d’une mère trop tôt enfuie et qu’il recherche dans chaque femme.

  Lauve, Lauve le pur, est à jamais du côté de ceux qui ont tout perdu, qui ont toujours tort, ni là ni ailleurs, sans cesse autre part : intellectuel chez les paysans, provincial chez les parisiens, faible parmi les forts, innocent avec les innocents.

  (Lauve le pur).

 

 

 

 

 

 

 

 

  Cette musique omniprésente, personnage à part entière même du livre, accompagne la relation de l'altiste avec Nicole, une femme en exil qui tente de fuir, plus que son Canada natal, la folie qu'elle sent poindre. Pendant près de huit ans, Nicole et le narrateur auront une liaison particulière, une forme d'amitié amoureuse, dénuée d'engagement, où le désir est présent mais surtout la parole.

   Leurs rencontres sont marquées par de longues conversations où se racontent les enfances, où se livrent les peurs, où se retrouvent aussi les solitudes d'êtres qui ont choisi de ne pas s'engager, de pas avoir d'enfant, de refuser l'attachement, de vivre la vie comme elle vient, de cueillir l'amour ou en tout cas le désir là où il survient. C'est aussi à cet ami-amant-confident que Nicole confie sa mort à venir, choisie, avant d'entrer « dans l'hiver de la vie » et que la folie qui niche en elle ne la submerge comme elle a déjà pris plusieurs filles de la famille.
 

  Un roman lent qui résonne des souvenirs de l'enfance - de la campagne limousine pour lui, du Québec pour elle – et des cordes de l'alto et du violon. Un livre ardu et beau dans lequel j'ai commencé à trouver ma place en approchant de la fin, qui est à découvrir, peut-être, avec un CD des références musicales dont regorge le roman

  (La voix d'alto).

 

 

 

 

 

 

 

   " Le renard dans le nom " nous révèle une facette supplémentaire de cette " comédie humaine " du bourg de Siom, en Haute-Corrèze, que Richard Millet construit patiemment livre après livre. " Ma vie parmi les ombres " était une longue et lente méditation funèbre, en l'honneur d'un monde disparu, de fermes aujourd'hui abandonnées, de familles éteintes ou parties loin de leur terre d'origine. " Lauve le pur " et " La voix d'alto " évoquaient le sort de deux de ces déracinés, enfants timides grandis en marge de la communauté siomoise, aujourd'hui transplantés à Paris mais poursuivis par la nostalgie de cette terre où pourtant ils n'étaient pas heureux. Beaucoup plus bref et dense que les trois romans que je viens de citer, " Le renard dans le nom " est une tragédie réduite à l'épure, une de ces tragédies où les passions humaines - désir, haine, volonté de vengeance - se révèlent dans toute leur force et leur cruauté: une jeune fille violée et assassinée, et le fils Lavolps - au renard dans le nom - soupçonné de ce crime qui est tué à son tour.

  Une tragédie qui se déroule au début des années soixante, mais qui aurait pu aussi bien prendre place dans les temps bibliques, " à l'Ancien Testament, au peu qu'en savait Jacques Râlé : à cet " oeil pour oeil " auquel Louis Lavolps avait vainement opposé le " Tu ne tueras point ", et à quoi le Râlé avait répondu que ça ne s'appliquait pas à un renard enragé, sans peut-être songer que le père portait le même nom et qu'il était un tout autre renard ".

  L'ombre du Roi Salomon plane d'ailleurs sur ce récit, où les vers du " Cantique des Cantiques " disent l'éveil du désir, et l'ombre de Faulkner aussi car le texte de Richard Millet n'est pas loin d'atteindre à la force de l'épi de maïs ensanglanté et des deux gibets sur lesquels se referment le " Sanctuaire " de l'écrivain américain.

 Une tragédie épurée, un texte dense et d'une grande force dramatique. Et une belle occasion de découvrir le style de Richard Millet, ses longues phrases alternant envolées musicales et pesanteur terrienne, de longues phrases où la plume de l'auteur est guidée à la fois par une recherche de précision et par la pure jouissance des mots et de la langue.

  (Le renard dans le nom).

 

 

 

 

 

 

 

 

  " J'ai vu s'éteindre, à Siom, sur les hautes terres limousines, entre les années 60 et le début de ce nouveau millénaire, le monde rural dans lequel je suis né. J'ai vu finir une civilisation qui avait duré des siècles. Ils sont tous morts, les Bugeaud comme toutes les grandes familles siomoises, et c'est pourtant parmi eux, hommes et femmes que j'ai vus vivre et que je croyais immortels, que j'erre aujourd'hui, perdu ou sauvé par l'écriture, ombre parmi les grandes ombres de Siom.

  " Entre un père inconnu et une mère absente, ce fils de personne grandit à l'ombre de fantômes, errant plus souvent entre les livres et les absents qu'avec ceux de son âge. Le temps d'une nuit, pour sa jeune amante, il déploie le passé de sa terre natale, des lieux et un monde disparus " puisqu'ils n'existent que dans la mesure où on parle d'eux ".

 (Ma vie parmi les ombres).

 

 

 

 

 

 

 Pour un lecteur, toute vie d'écrivain constitue une énigme. C'est afin d'élucider celle que lui présentait Richard Millet que Chantal Lapeyre-Desmaison a souhaité s'entretenir avec lui. En une conversation où la confrontation le dispute au questionnement.

  En un itinéraire intime où les livres, les territoires, les personnages revisités s'éclairent en regard des confidences, notations et documents biographiques souvent livrés, parfois dérobés. En un dialogue critique, enfin, qui accompagne une œuvre de vingt ans sans jamais en abolir la grâce ou le mystère.

   Et si le romancier de Ma vie parmi les ombres ne sort pas indemne de l'exercice, c'est qu'il consent à se dévoiler en nous dévoilant ce que lire signifie.

  (Fenêtre au crépuscule).

 

 

 

 

 

 

 

 

    « J'évoque quelques-unes des œuvres sans lesquelles je ne serais pas tout à fait ce que je suis, la musique comptant autant que le sang, la terre, la religion ou la langue dans ce qui détermine un être.

  J'avais sept ou huit ans, et déjà la musique était tout sauf un divertissement ; les larmes que me tirait l'andante du Concerto pour clarinette de Mozart, la profonde songerie où me poussaient la Septième de Schubert et L'oiseau de feu, et bientôt Le sacre du printemps, la Messe en si de Bach, La Création de Haydn, tout cela me révélait autre chose que ma condition d'enfant, me signifiait que j'étais appelé à mourir dans le chant et à y renaître, inlassablement. »
 Richard Millet.

  (Musique secrète).

 

 

 

 

 

 

 

 
  Après La Voix d'alto (2001) et Musique secrète (2004), voici Pour la musique contemporaine, le nouveau livre de Richard Millet sur un de ses sujets de prédilection. L'ouvrage – « qui pourra être lu comme l'itinéraire personnel d'un écrivain à travers la musique savante d'aujourd'hui » –, regroupe des compte rendus de disques commandités par la Revue des Deux Mondes et des chroniques lues sur France Culture, toujours sur le même sujet – plus des inédits, spécialement rédigés pour cette parution. Au total, près de cent quatre-vingt points de vue, d'une page en moyenne, nous (re)plongent dans la musique du XXe siècle.

  Millet insiste sur la subjectivité d'un tel projet : ce n'est ni en musicologue, ni en critique musical qu'il agit ; le livre n'est pas un guide mais plutôt une leçon d'écoute. En quelques mots, il décrit le contenu du disque qu'il chronique de façon rationnelle (année de composition, instrumentarium) puis émotionnelle (pourquoi telle œuvre lui semble consolatrice, méditative, hallucinatoire, etc.). Il sera peu tenu compte de l'interprétation.

  Si l'on trouve au début un chapitre sur Les grands aînés (Debussy, Varèse), puis sur La génération de 1920 (Berio, Ligeti, Nono, etc.), la tentation chronologique s'arrête là et les cadets (Leroux, Kyburz, Neuwirth) ne se retrouvent pas forcément en dernières pages. L'auteur préfère regrouper les compositeurs d'une façon que certains jugeront simpliste, mais qui a l'avantage de faire fi des écoles musicales. Les chapitres se succèdent arbitrairement : sur les compositrices, sur les spectraux, sur la spiritualité, sur l'opéra, sur les minimalistes nord-américains, sur les connivences avec la littérature, etc. La production variée de certains créateurs fait qu'on retrouve leur nom plusieurs fois, tel Boulez, figure qui continue de « cristalliser sur son seul patronyme la haine de ce qui est savant, exigeant et neuf ».

  Outre le rappel et la découverte d'informations précieuses, c'est une belle envie de partager des plaisirs sonores qui ressort de cette lecture, et on félicitera l'auteur d'avoir valorisé ainsi certains compositeurs, même lorsque leur esthétique était éloignée de ses préoccupations. LB.

  (Pour la musique contemporaine).

 

 

 

 

 

 

 

  En 2005, dans Le Dernier Écrivain et Harcèlement littéraire, Millet critique les écrivains français contemporains qui méconnaissent les règles de la langue française. Il dénonce aussi la domination du roman policier, de l'heroic fantasy ou de la science-fiction, « sous-genres » qui auraient entraîné, selon lui, une certaine inversion des valeurs.

  Il s'oppose en cela à Borges pour qui le roman policier serait le digne héritier de la tragédie grecque, mais rejoint José Ortega y Gasset, lequel prétendait que le roman psychologique dépassait en intensité les autres genres.

  Reprenant à son compte cette position, Millet oppose aux autres genres littéraires une langue foisonnante, riche et profonde, à la différence, par exemple, d'un Bernanos qui se moquait bien des genres.

  (Le Dernier Ecrivain).

 

 

 

 

 

 

 

 

  Delphine Descaves et Thierry Cecille, jeunes professeurs et critiques littéraires, ont souhaité visiter de plus près les territoires d'un écrivain : Richard Millet.

  Tous deux ont vécu dans des villes privilégiées de son imaginaire (Beyrouth, Istanbul) et sont allés jusqu'à Viam, son village natal, en Corrèze. 

  Mais c'est dans la parole vive, dans le questionnement, parfois dans la contradiction, que se dessine la figure de l'écrivain.

   Richard Millet a accepté de se prêter à un échange qui n'a rien d'un exercice d'admiration mais qui, à l'écart de toute pensée consensuelle, propose une vision critique de la littérature contemporaine.

  (Harcèlement littéraire).

 

 

 

 

 

 

 

 

  « Ainsi je n'étais pas beau : un crapounaud, un limassou, un vilain petit canard, me lançait dans la rue Haute, assise sur sa chaise de paille, la vieille Roche qui m'effrayait avec ses yeux
chassieux, sa lippe rouge, sa bouche sans dents... »

  (Le goût des femmes laides).

 

 

 

 


 

 

 

 

 

  « Il m'a fallu le rencontrer, lui, l'ancien écrivain, pour comprendre que je l'aimais, cette terre où je vivais sans me poser de questions, où il était né, lui, à une soixantaine de kilomètres de là, dans ce village de Siom où je n'avais jamais mis les pieds et où il ne m'emmènerait pas... »

  (Dévorations).

 

 

 

 

 

 

 

 

  A la fin du XIXe siècle, dans le haut Limousin, territoire disgracié de la France rurale, un jeune homme, fils naturel d'une simple d'esprit et d'un inconnu, affligé d'un pied bot, pauvre de surcroît, découvre les gestes et la technique qui feront de lui un photographe ambulant.

   Il est né en 1866 et se suicide en 1910. Retrouvées dans le grenier de la mairie d'Aix-la-Marsalouse, ses plaques témoignent d'un singulier souci de donner à voir ce qui n'avait pour ainsi dire pas d'image une population appelée à disparaître dans les décennies à venir.

  L'art du bref n'est pas une biographie d'Antoine Coudert, ce photographe dont on ne sait presque rien et dont l'existence tragique a quelque chose des héros de Faulkner. Parler de lui, c'est se vouer peu ou prou à la fiction. C'est entrer dans un songe noir pour y chercher de la clarté.

   C'est enfin réfléchir sur la photographie, laquelle n'est peut-être pas un art - ou alors un art par défaut, un art modeste, un art du bref. R.M.

  (L'art du bref).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

   « Je m'assois à la table ronde du salon. Je suis là à la demande d'Antoine Gallimard pour examiner, en compagnie de Philippe D., les papiers d'un des écrivains qui ont le plus compté pour les écrivains de ma génération - un de ceux qui m'ont appris à lire, dès l'âge de dix-huit ans, rendant possible le fait même d'écrire, non sans que se nouât un rapport d'identification que la nature d'une certaine façon impersonnelle de son œuvre donnait néanmoins à combattre. »

  (Place des Pensées. Sur Maurice Blanchot).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  " Il était de ces êtres, si incompréhensibles aujourd'hui, qui ont le goût de la solitude : une solitude qui était plus un accomplissement que de la misanthropie ou la contestation de l'ordre social qu'elle est devenue dans une société qui fait du vivre-ensemble, de la transparence, du festif, de la convivialité, une des figures de la démocratie où les solitaires sont suspects aux vertueux hédonistes du nouvel ordre moral.

  Mais s'il aimait autant la solitude, c'était qu'il pouvait ainsi laisser libre cours à ce qu'il faut bien appeler son originalité ou ses bizarreries.

  (Petite éloge d'un solitaire).

 

 

 

 

 


 

 

 

   C’est au cours d’une crise intérieure et amoureuse au centre de l’été 2006 que va naître ce récit de Richard Millet, qui, pour la première fois, éclaircit son être le plus intime et fait se confronter tous les lieux et tous les thèmes qui cheminent dans son oeuvre. Le Liban, la Corrèze, les paysages arides, comme à vif, qui habitent en permanence son regard, doublure de lui-même. Mais aussi l’excès, la foi, la langue, l’amour, la solitude, la disparition.

  C’est donc à la fois à un voyage intérieur que va nous conduire son récit et à un voyage presque halluciné à Beyrouth, pendant les derniers jours de la guerre entre le Hezbollah et Israël. Dans cet état de double confusion, personnelle et politique, Richard Millet confrontera son interrogation spirituelle avec les villes chrétiennes du Liban, au nord d’Alep, ces villes mortes, ruines éparpillées dans la montagne. Taklé, Fafertin, Basoulian, Bordj Haidar, Barad.

  Peu à peu, au fil du voyage, le récit en forme d’autoportrait, qui cherche ardemment à répondre à la question souterraine « Qui je suis ? De quoi suis-je fait ? » va épouser la forme de cet Orient désert et laisser place à des notations fragmentaires, silencieuses. L’Orient désert est un vrai-faux récit de voyage, il est un exorcisme de toute la noirceur du monde, de la guerre et de l’abandon. Il apparaît dans l’œuvre de Richard Millet comme un apaisement, un renouveau. Dans une langue aussi libre que forte, belle, engagée.

  (L'Orient désert).

 

 

 

 

 

 

  « Il se peut que la démocratie moderne dénie toute grandeur à l'écrivain.
 
 Il se peut que la littérature ait chu avec la religion, l'autorité, les pères.

 Il se peut que nous soyons, nous autres écrivains, des survivants ou, au contraire, des guetteurs de l'aube. »


   (Désenchantement de la littérature).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  Au centre de ces trois nouvelles, huis clos loin des fresques romanesques, est la femme ; « la femme en tant qu’elle échappe à l’homme, la femme et la mort ».

 Tour à tour grinçant, misanthrope ou caustique Richard Millet, de sa prose musicale et exigeante, met en scène l’intimité et le regard de l’autre.

 « L’amour, sous quelque forme qu'il se manifeste, n'est que l'abîme où nous ne cessons de choir depuis notre naissance ».

  (Corps en dessous).
 

 

 

 

 

 

 

 

 

  « L'unanimité violente qui s'est créée autour de Désenchantement de la littérature (Gallimard, 2007) et, plus généralement, de ma propre personne montre que non seulement on n'a pas voulu lire ce livre, mais aussi que la littérature reste un objet de scandale.

  L'affaire relève donc moins de la politique, comme on a voulu le faire croire, que de cette science annexe de la littérature : la démonologie. Oui, les démons sont plus que jamais à l'œuvre parmi nous. Ces forces du mal, la toute-puissance du nihilisme, voilà ce que ce livre tente d'exorciser. » Richard Millet.

  (L'opprobre).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  " Ce n'était plus la guerre fantomatique à quoi, depuis mon arrivée à Beyrouth, je m'étais habitué et qui ne venait pas : ce n'était plus du roman devenu vague rêverie au fond de l'ennui ; c'était l'essence même de toute littérature : la guerre, violente. exigeante. dangereuse. enivrante, aussi. car j'y ai retrouvé les gestes qui étaient les miens, enfant, dans les bois de Siom, quand je jouais à la guerre et que je mourais ou tuais avec une ivresse qui me laissait croire que j'étais la proie d'autre chose que de la lièvre du jeu.

  Mais à Beyrouth, cette nuit-là, au premier étage du magasin que nous devions tenir, dans le bruit des armes, les éclats, l'odeur de poudre, d'huile et de métal chaud, je sentais les autres miliciens bien plus proches de moi que mes anciens compagnons de jeu. Tout ça me plaisait dans une dimension inquiétante, voire terrifiante du plaisir : celle qu'on connaît dans les très grandes amours. "

  (La Confession négative).

 

 

 

 

 

 

 

 

   « En 1997, au Liban, en un mois d'avril neigeux, je suis descendu chez les morts, par les tombeaux de Byblos, par la source sacrée d'Afqa, et par le fleuve Litani, que les travaux de mon père avaient détourné à travers la montagne du Sud, vers Jezzine, où je n'ai retrouvé que le spectre de l'enfant que j'ai été et le bruit ténébreux du temps. »
Richard Millet.

  (Brumes de Cimmérie).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

   Une jeune Libanaise, chassée de son pays par la guerre de juillet 2006, se retrouve au Rat, près de Siom, dans le haut Limousin, avec son neveu et sa nièce, également exilés.

   Les étranges événements qui se dérouleront au Rat relèvent-ils de la peur, de la frustration sexuelle, ou de la folie ? Ne faut-il pas plutôt croire que nous sommes tous, un jour ou l'autre, confrontés à de vrais fantômes ?

  (Le sommeil sur les cendres).

 

 

 

 

 

 

 

 

   C'est l'histoire de Tarnac, jeune provincial parti à Paris suivre une amie qui le quitte à leur arrivée. Sans attaches dans cette ville, il se retrouve un soir par hasard dans un vernissage.

  Sans le vouloir vraiment, il continue de côtoyer ces rendez-vous des amateurs d'art et fini de par son assiduité à se faire une renommé d'expert.

  Oeuvre intéressante quoique pas facile à lire. Mérite peut-être une relecture.

   (Tarnac).

 

 

 

 

 

 

 

 

  « Nous sommes entrés dans l'ère postlittéraire. Un spectre hante la littérature : le roman, devenu à ce point hégémonique que toute la littérature semble s'y réduire. Le roman tue le roman : le roman international, insipide, sans style, immédiatement traduisible en anglais, ou traduit de l'anglais, l'unique objet d'une littérature sans autre histoire que le jeu de ses simulations, de ses plagiats, de sa fausse monnaie.

  Il n'est donc pas question ici du cliché sur la décadence de la littérature française ni de la fin du genre romanesque, mais plutôt de ce qui est né avec Homère et qui relève de ce que, nous autres écrivains, nous continuons d'appeler la littérature. » Richard Millet.

  (L'enfer du roman).

 

 

 

 


 

 

 

   Le nombre des chambres qu’il nous est donné d’habiter, au cours d’une vie, est tout à la fois infini et restreint. On se les rappelle toutes, même celles où l’on n’a passé que quelques heures et dont les murs étaient des bras féminins.

  Quant aux chambres qu’on oublie, ce sont celles où l’on n’a pas encore dormi, au cœur de villes qui nous demeurent inconnues. Qu’importe, dès lors, si je les visite ou les ignore : voyager m’ennuie, la plupart du temps ; et mes dispositions au retrait, à l’immobilité, au silence, font que je me rappelle ces chambres comme je me souviens de livres ou de musiques, ou bien des femmes que j’ai étreintes.

  De ses voyages au Liban Richard Millet a retenu cinq chambres, lieux de dialogue entre le dedans et le dehors, distillant les souvenirs qui semblaient perdus ou s’élevant telles des tours de guet sur les terres d’Orient, cinq chambres qui constituent “ un de ces chateaux de cartes que notre fantaisie élève dans la mémoire, la plus lointaine comme la plus immédiate ”.

  (Cinq chambres d'été au Liban).
 

 

 


 

 

 

 

   « Je suis arrivé à Tallinn dans la nuit, via Vilnius, par un petit bimoteur à peu près vide. Aéroport quasi désert, comme celui de la capitale lituanienne : nul policier, douanier, employé, voyageur, sinon deux ou trois ombres, furtives, de l'autre côté d'une paroi vitrée. Impression de voyager en songe, et dans la nuit des noms plus que sur la terre des hommes. L'Estonie me réconciliera-t-elle avec l'humain, dont le nombre m'inspire une horreur croissante ?

  Dehors, il fait moins vingt-trois degrés. Je me jette avec ivresse dans le froid, entre de hautes piles de neige sale.

  Jamais je n'ai autant désiré le froid, lequel, à mon grand dépit, s'était dérobé, à Québec, en février 1998, comme il le ferait à Stockholm, en décembre 2001. Je garde en revanche un souvenir heureux de la longue nuit suédoise, où le peu de jour semblait le gant retourné de la nuit. »

  (Eestie).

 

 

 

 

 

 

 

 

  « Un prince napolitain de la fin du XVIe siècle, meurtrier de sa femme et de son amant, auteur d’une des musiques des plus étranges de la Renaissance, vit désormais retiré dans son château de Gesualdo, fouetté chaque jour par ses valets afin d’expier l’inexpiable, tout en guettant sur le visage de ses proches les signes de sa mort imminente » : tel est le thème de ce livret d’opéra basé sur la vie extravagante du compositeur Carlo Gesualdo, opéra créé à l’Opernhaus de Zurich en octobre 2010 (musique de Marc André Dalbavie).

  Le texte reproduit ici est celui du livret tel qu’il a été écrit au départ avant d’être aménagé pour être chanté, et s’apparente donc plus à une pièce de théâtre.

  (Gesualdo).

 

 

 

 


 

 

 

  Dernier homme, déclin de l'Occident, meilleur des mondes, règne de la quantité, de la technique, crise de la culture, homme unidimensionnel, société de consommation ou du spectacle, désenchantement du monde, ère du vide, de l'éphémère ou du moindre mal, condition postmoderne, homo festivus, etc. Comment, après tant de formulations heureuses mais récupérées par le culturel et l'antiracisme, et sans tomber dans la nostalgie, comment nommer ce monde nouveau, ce cauchemar posthumaniste, ce totalitarisme light ?

  Peut-être est-il trop tard. Au moins ne serons-nous pas dupes d'une stratégie globale qui inscrit le monde dans une horizontalité toujours plus large et fade, dépourvue de relief, de hiérarchie, de verticalité, de goût, de mémoire.

 Autant d'arguments en faveur d'un désespoir qui soit un surcroît de lucidité.

 Né en 1953, Richard Millet est écrivain et membre du comité de lecture des éditions Gallimard. Son livre Le sentiment de la langue (Gallimard, 1994) a reçu le Prix de l'Essai de l'Académie française.

  (Arguments d'un désespoir contemporain).

 


 

 

 

 

 

  Comment peut-on encore être Français, quand l'immigration de masse ne permet plus l'assimilation des nouveaux venus, quand les Français de souche renient eux-mêmes leurs traditions pour épouser le conformisme du consumérisme mondialisé, quand le droit à être Français et la tentation du communautarisme l'emportent sur l'aspiration à un destin national, quand enfin la France n'est plus qu'un nom que nous froissons au fond de notre mémoire, pressés que nous sommes de sacrifier notre héritage chrétien et notre langue au relativisme culturel ?

   Derrière cette fatigue, derrière cette faillite à être soi-même, c'est bien l'effondrement des valeurs les plus hautes qui est à l'oeuvre. Une dignité trahie qu'achève de terrasser l'immigration extra-européenne sous un flux grandissant et hostile à tout enracinement. Comment dès lors savoir ce que nous sommes et où nous allons, si nous persistons à nier d'où nous venons ?

  (Fatigue du sens).

 

 

 

 

 

 

 

 

Un écrivain notoire et misanthrope se rend à Siom, en Limousin, d’où il est originaire, pour y rencontrer une jeune Libanaise qui travaille à une thèse sur la place de la femme dans son oeuvre.

  C’est surtout du rôle des femmes dans sa vie qu’il sera question, au cours de ces conversations nocturnes sur l’impossibilité de l’amour, le sexe comme art ou comme damnation, la littérature, la musique, la France, la mort de l’Europe, le Liban, la Suède enfin où, pendant quelques heures, l’écrivain a été le lauréat du prix Nobel de littérature, c’est-à-dire au coeur de ce théâtre de chair et d’ombre, dérisoire et irremplaçable, qu’est l’existence.

  (La fiancée libanaise).

 

 

 


 

 


 

 

  « J’ai écrit ce livre pendant qu’une femme mourait.

  Elle fut ma première épouse, et je me rends à présent compte que je me suis mis au travail le jour où l’on m’a appris qu’elle allait mourir.

  Dire ce que je sais d’elle, avec qui j’ai vécu pendant dix ans, me paraît vain : elle m’était devenue une sorte d’étrangère ; elle se trouvait reléguée dans cette zone singulière de l’existence où certains êtres ne vivent plus qu’arrêtés dans le temps, interdits de présence, fantômes avant l’heure.

  Je passe sous silence ce dont je me souviens et qui ne cesse de croître comme si sa voix étendait son ombre en moi. »
 
 (La voix et l'ombre).

 

 

 

 

 

 

  « Le triomphe international de l’anglais n’est autre que celui du broken english, cet anglais brisé qui détruit jusqu’à la langue anglaise elle-même. Se contenter de cette langue et de ce bilinguisme-là, ce n’est pas seulement une affaire pratique ; c’est aussi un peu de son âme qu’on abandonne : en négligeant les autres langues au profit du seul anglais, on finit par ne plus savoir qui l’on est.

   Cette œuvre de destruction culturelle, la langue des États-Unis d’Amérique la rend particulièrement efficace par la politique comme par la sous-culture qu’elle véhicule et impose économiquement.

  Que le Liban n’y échappe pas plus que les autres pays, rien que de très normal, à ceci près que la pluralité des langues, notamment le trilinguisme arabe-français-anglais, dans cet ordre, constituait la richesse et une chance pour ce pays dont il n’est pas sûr qu’il ne perde pas énormément à devenir arabo-anglophone. »

  (Lettre aux Libanais sur la question des langues).

 

 

 

 

 

 

 

 

  Dans le train qui l'emmène en Hollande où il doit participer à une table ronde culturelle, le narrateur regarde le paysage et se perd parfois en lui-même. Il roule vers les beffrois dressés dans la plaine flamande et vers la Hollande des tableaux de Rembrandt ou de Vermeer.

  Il songe à la femme qu'il vient de perdre et à celle qui surgira peut-être à la faveur du voyage. Condamné à errer éternellement entre deux livres et entre deux femmes, il accomplit sa ronde de nuit, aux frontières du monde visible et du monde intérieur, là où l'amour de l'art, de la littérature et des femmes lui a rendu les vraies raisons d'espérer.

  (Intérieur avec deux femmes).

 

 

 

 

 

 


 

  L'antiracisme, qui est devenu la nouvelle idéologie internationale, se signale en France par la dictature de nouveaux dévots dont le zèle inquisitorial, l'hypocrisie, la volonté de culpabilisation sont particulièrement à l'oeuvre dans le milieu prétendu littéraire, où le faux règne en maître.

  L'écrivain qui s'aventure encore à nommer le réel et en appelle à l'intégrité de son être comme au génie chrétien de la nation, celui-là est non seulement traité de " réac " ou de " facho ", suivant la typologie héritée de la Propagande communiste, mais il est surtout accusé de " racisme " : criminalisation de la pensée, pour laquelle il encourt l'ostracisme, la censure, le tribunal.

  La plupart sont amenés à se taire, ou à bêler avec les brebis pénétrées par le Bien. Quelques-uns parlent, cependant, comme Richard Millet qui, à l'accusation de " racisme " lancée contre lui par le parti dévot, répond que l'antiracisme est une terreur littéraire, c'est-à-dire un des vecteurs du Faux, et une vraie forme de racisme visant à éradiquer cette vérité qu'on appelle littérature, donc la vérité sur le monde.

  (De l'antiracisme comme terreur littéraire).

 

 

 

 

 

 

 

  Faut-il se lamenter sur le sort du roman français, quasiment absent de la scène internationale ? Pas si sûr quand on mesure à quel niveau d'abêtissement conduit le roman dit "international ". Ainsi Umberto Eco n'a-t-il pas hésité à " réécrire " Le Nom de la rose à l'intention des lobotomisés du Culturel : suppression des citations latines, passages amputés des descriptions, appauvrissement du vocabulaire.

  Un processus de vulgarisation où seul subsiste le scénario, en attendant le video game. Ce qu'on appelle encore " roman " est ainsi devenu le lieu même de la destruction de la langue et de la littérature. La tiers-mondisation culturelle de la France le proclame de toutes parts. Et quand, à la mise à mort de la littérature, s'ajoute la négation de l'idée de nation, n'est-ce pas au néant qu'on donne droit de cité ?

  Ainsi, le massacre perpétré par Anders Breivik, en Norvège, loin de constituer l'acte d'un homme seul, encore moins celui d'un aliéné, renvoie les politiques et agents " culturels " au miroir d'une société qui, par-delà le scénario " multiculturaliste ", a choisi de renoncer à toute communauté de destin, à ses racines vivantes, chrétiennes, donc littéraires.

  (Langue fantôme, suivi de Eloge littéraire d'Anders Breivik).

 

 

 

 

 

 

 

  En arabe, révolution se dit thawra. Il n’est pas certain que ce mot y ait la même valeur eschatologique qu’en Occident. La Révolution française et ses échos historiques continuent donc à fausser la vision de ce qui se passe dans le monde arabe, dont le moins qu’on puisse dire, mais qui n’est pas dit, est que les peuples qui le constituent ne sauraient désirer ni la terreur robespierriste ni l’hiver soviétique.

  Se ranger à l’idée que ce sont les peuples qui ont chassé les dictateurs de Tunisie, d’Égypte, du Yémen, de Libye est en réalité aussi niais que de soutenir que l’intervention américaine en Irak était réclamée à cor et à cris par le peuple irakien ou que les Serbes désiraient à tout prix être délivrés de Milosevic grâce au bombardement massif de leur territoire par les avions de l’OTAN – deux exemples de crimes de guerre que l’histoire officielle n’enregistrera jamais comme tels.

  Plus acerbe que jamais, Richard Millet s’insurge contre l’actuel discours journalistique – consensuel, mou et édulcoré – au sujet des insurrections en Syrie, et nous donne à voir son appréhension, à contre-courant de la doxa occidentale, quant à la portée des événements qui frappent le Proche-Orient.

  (Printemps syrien).
 

 


 

 

 

 

 

   Là où je vais, je serai nu. Sans doute le cheminement exige-t-il d’ores et déjà cette nudité. Il est même probable que ce dépouillement n’est rien d’autre que le signe de mon ignorance et que, par les connaissances parcellaires et les préjugés qui me tiennent lieu de savoir, je participe de la grande misère contemporaine – laquelle est avant tout spirituelle. A l’écart de tout lieu commun, l’aridité est ce dont je ne suis pas encore digne. Le reconnaître revient néanmoins à trouver le sens de la marche.

  S’opposant à la vulgarité ambiante et à la déchéance morale de la société occidentale, Richard Millet écrit ce manifeste pour l’aridité. Il ne s’agit pas ici de dénoncer ou de s’indigner le poing levé mais de refuser un monde damné en désertant, en se mettant volontairement à l’écart.

  L’aridité devient alors discipline lorsqu’il faut épurer le langage pour lui rendre sa justesse, s’isoler pour aboutir à la conscience heureuse de l’écart. L’aridité c’est l’obscurité de Mallarmé, le décharnement linguistique de Beckett, l’effacement de Blanchot, la musique au plus près du silence de Stravinsky ou Webern, l’assèchement des formes chez Giacometti.

 (Esthétique de l'aridité).

 

 

 

 

 

 

 

 

   « Quelque chose s’achève, que je suis encore incapable de mesurer mais dont l’obscur mouvement en moi fait entendre sa rumeur. Je ne serai pas un écrivain français : j’écris ce récit ; je le mènerai à bien ; ensuite je me tairai dans cette langue, moi qui suis pourtant né dans un nom français, Butte, Montana, 1 742 mètres d’altitude.

  Je reprendrai de la hauteur. Je m’élèverai au-dessus de la langue française que j’aurai sans doute mieux aimée que les Français, qui la négligent, commencent même à l’ignorer, tombent dans le puits où ils s’oublient, comme tous les peuples d’Europe. Je reviendrai à ma langue natale pour y vivre, aimer, mourir.

  Je dirai la vérité sur mon amour pour Rebecca. Je serai un écrivain américain, c’est-à-dire un homme sans nostalgie. »

  (Une artiste du sexe).

 

 

 

 

 

 

 

  " C'était le Boeuf, l'inattendue épiphanie de la bête dont nous étions en train de manger une côte, et qui se tenait là, devant nous, au centre de la salle, parmi les convives parcourus d'un frémissement dont il était l'épicentre, ce boeuf en majesté qui tirait de son torse monumental non seulement la nourriture, mais aussi les femmes qu'il nourrissait, divin et adamique, ayant engendré celles en qui il se reproduisait et dont il dévorerait peut-être les fruits, comme Chronos, en tout cas brouillant les circuits du social, du sang et du temps ".

  Sous le puissant tabou contemporain de la viande bovine, qu'entame cette parole d'or, jaillit, dans tout son éclat, l'échange de sang primordial entre tous les êtres appelés à naître et à mourir au fil d'un irrésistible renouvellement au coeur de la rencontre, du sacrifice et du mystère de la condition terrestre.

  (L'Être-bœuf).

 

 

 

 

 

 

 

 

  Posant comme postulat de départ que le pire est à venir dans cette débâcle permanente qu’est l’existence humaine – ce en quoi tout homme objectif serait en peine de prouver le contraire –, Richard Millet livre trois nouvelles coup de poing. Richard-le-fataliste dresse pour vos yeux seulement un autel littéraire dédié à cette incurie humaine si pathétique à se vautrer sempiternellement dans sa course impossible à vouloir réaliser à tout prix un dessein qui s’échappe, tel le mirage de l’égaré en plein désert… Perdus dans ce – trop – bruyant, régulé, violent et stupide quotidien qui forme ce tout égoïste qui nous avale tous, les héros de ces trois récits portent haut l’absurde désir d’aboutir, réussir, obéir. Quand on perçoit combien ailleurs est leur vérité.

  Mais peut-on s’affranchir sans risque ? Richard Millet en a payé le lourd tribu, lynché par la connerie crasse et la lâcheté mondaine de ceux-là même qui devaient défendre au prix de leur vie – professionnelle s’entend – ces idéaux bafoués, à l’origine du scandale.

  Conscient de l’effacement du monde au profit d’un magma numérique virtuel, Richard Millet persiste dans l’inutile art d’écrire puisque plus personne ne lit (sic). D’où l’intérêt majeur de ce livre pour sa qualité narrative au-delà de toute métaphore, message ou intention ; et le courage économique de l’éditeur qui lui demeure fidèle. Soyons donc encore quelques uns à résister à l’entertainment et à privilégier notre culture française, chrétienne, enracinée dans nos provinces séculières et riches du terreau d’une nation : sa langue !


  (Trois légendes).

 

 

 

 

 

 

 

 

 Dalbavie avait demandé à Millet un livret dont l'héroïne devrait être une femme. Millet avait décidé d'écrire sur Charlotte Salomon, jeune artiste juive assassinée à Auschwitz en 1943 alors qu'elle était enceinte. Ses dessins et peintures avaient été confiés à un médecin avant sa déportation.

  Le texte de Millet est construit en trois actes : on y voit la jeune Charlotte Salomon, dont la vie est l'art, en compagnie de ses grands-parents, tous trois réfugiés à Villefranche-sur-mer à cause du nazisme. On y lit ses amours, ses enflammements, ses espoirs aussi.

  (Charlotte Salomon, précédé d'une lettre à Luc Bondy).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

   Sur la littérature et les victimes « On m’a enfin reproché de n’avoir eu pour les victimes de Breivik aucun mot, aucune compassion chrétienne. Je ne suis pourtant pas de ceux que les bourreaux fascinent ; mon horreur de la politique vient, en grande partie, de ce cauchemar qu’est l’Histoire, comme disait Joyce, tout comme du dévoiement de la démocratie athénienne dans le capitalisme mondialisé et les formes nouvelles de « soft » totalitarisme, puis-je dire en un raccourci sans doute excessif mais qui illustre ce qu’éprouvent ceux qui, élevés comme moi dans l’esprit d’ouverture de la culture classique, se trouvent placés devant la négation de celle-ci.

   La question des victimes m’a toujours hanté et a défini mon opposition à la peine capitale. On me pardonnera de renvoyer encore à mon roman Lauve le pur. J’y évoquais un tueur en série français, Guy Georges, auteur de sept meurtres sur des jeunes femmes dont je donnais les noms, ému de ce que seul le nom du tueur demeure, non celui de ses victimes. J’y évoquais aussi Karla Tucker, exécutée dans une prison du Texas, le 3 février 1998, après avoir lu la Bible. »

  Richard Millet revient sur l’affaire qui entraîna sa démission du comité de lecture des éditions Gallimard en septembre 2012.

  (Lettre aux Norvégiens sur la littérature et les victimes).

 

 

 

 

 

 

 

 

  Rêver est, après tout, une manière de vivre, pensais-je en me trouvant, somme toute, heureux d’avoir été le lieu d’un rêve prophétique, moi qui renonçais de plus en plus souvent aux berges de la rationalité commune pour me donner à des signes qui sont le chant du divin dans la vie matérielle.

  Comme les cinq actes d’un drame brutal, les cinq parties de ce court récit se situent loin des terres limousines ancestrales auxquelles Richard Millet nous a habitué ; nous sommes tout près de Paris.

   Un homme, en proie à ses rêves, se lève avant l’aube. La journée sera ponctuée de visions et d’événéments étranges, probables signes prophétiques, nous maintenant sous tension, comme sous une nuée menaçante, jusqu’à la nuit, fatale.

  (Sous la nuée).
 

 

 

 

 

 

 

 

   Depardieu, c'est l'ultime monstre sacré, sur qui la politique n'a pas de prise. L'acteur au corps rabelaisien, pétant et éructant à la face du monde, qui a refusé d'être enterré vivant dans la masse informe.

  Passé à l'Est, à jamais " hors champ " pour les gardes rouges du Culturel, lui seul aura su résister à l'américanisation du modèle français. Longtemps " migrant de l'intérieur ", Depardieu demeure ainsi l'homme du scandale autant que de la grâce qui, mieux que personne, aura su rendre à l'esprit français les accents de la vérité.

 Là où la tentation du sublime, la dérision grandissante et l'enlisement dans le banal font le lit de la décadence.

  (Le corps politique de Gérard Depardieu).

 

 

 

 

 

 

 

 

  La musique de Sibelius accompagne Richard Millet depuis qu’à Beyrouth, enfant, il jouait à quatre mains la fameuse Valse triste avec son père. Elle ne l’a jamais quitté. Sibelius s’est tu pendant les trente dernières années de sa vie, alors qu’il était devenu un monument national.

  Le mystère de ce long silence donne une résonance particulière à cette œuvre, hantée par les forces élémentaires et la confrontation avec la nature. Ce livre se veut moins un commentaire musicologique de l’œuvre ou une biographie que l’accompagnement spirituel d’une grande aventure artistique.

  (Sibelius, les Cygnes et le Silence).

 

 

 

 

 

 

 

 

  « L'exode des chrétiens d'Orient qui a lieu sous les yeux de l'Occident est bien le signe d'un aveuglement volontaire qui prend de court le caractère nihiliste, et pour nous démoniaque, de la conscience occidentale, laïque et démocratique. 

  Oui, il est effrayant le grand silence qui règne sur cette question en Europe (...). Ce silence n'est pas seulement éthique ou politique : il y va de ce qu'on appelle la civilisation, et les flots qui se refermeront un jour sur les belles âmes indifférentes leur tiendront de larmes. »

  (Chrétiens jusqu'à la mort, suivi de : Le Liban dans l'œil du cyclone).

 

 

 

 


 

 

 

 

  Deux rives, trois religions, vingt-trois pays riverains et une mer qui reçoit des noms divers selon les langues : Mare Nostrum pour les Romains, Mer blanche du milieu pour les Arabes, mer blanche pour les Turcs, mer du milieu des terres pour les Hébreux, les Serbes, les Berbères, les Arméniens, la Méditerranée se subdivise aussi en plusieurs mers : Adriatique, Tyrrhénienne, Egée, Ionienne...

   Jadis centre du monde, la Méditerranée reste un espace géographique et politique important, et le foyer de notre civilisation grâce à la Phénicie, à Jérusalem et Athènes, et bien sûr Rome. La division entre Orient et Occident tend aujourd'hui à s'estomper, à cause des migrations et de l'américanisation du monde. C'est pourquoi l'auteur préfère parler de Méditerranée au singulier, celle-ci étant envisagée dans sa dimension civilisationnelle plus que politique, et dans sa diversité toujours active.
 
   Il sera donc question de pays (Albanie, Macédoine...), mais plus volontiers de régions (Kabylie, Côte Vermeille, Gaza...), de villes (Beyrouth, Istanbul, Barcelone, Venise...), d'îles (Ibiza, Elbe, Malte...), de personnages mythologiques (Jason, Antigone, Didon), historiques (Alexandre le Grand, César, Zénobie...), d'écrivains (Homère, Camus, Lampedusa...), de peintres (Caravage, Gréco, Barcelo), de musiciens (Falla, Albeniz , Milhaud), de cinéastes (Fellini, Pasolini...), d'acteurs (Mastroianni, Claudia Cardinale, Trintignant), de saints (Rabi'a, Angèle de Foligno, Thérèse d'Avila), de plats, du vin, des vents, du platane et du cyprès, du oud et du komboloï, et de bien d'autres choses, à partir de souvenirs personnels, de voyages, de lectures, de femmes, ce qui explique, comme toujours en amour, ces lacunes qui reçoivent le beau nom de préférences....

  (Dictionnaire amoureux de la Méditerranée).

 

 

 

 

 

 

 

 

   Bêtise souveraine, perte des valeurs, politiquement correct, doxa littéraire, sous-culture, déchéance de l'esprit critique : voilà quelques-unes des formes que prend la guerre en cours, aux yeux de l'écrivain qui n'a, aujourd'hui, presque plus de voix, dans un monde où règne l'insignifiance.

   D'où ces textes, de nature diverse, le plus souvent brève ou fragmentaire, qui envisagent ce qui s'achève tout en se maintenant comme cadavre : la culture, quasi morte, parce que tuée par le refus d'hériter et devenue le pouvoir culturel. Il faut donc repenser la figure de l'écrivain comme partisan sans parti, comme témoin animé de la volonté de dire ce qu'il voit, chaque jour, en France et ailleurs.

  (Solitude du témoin).

 

 

 

 

 

 

 

   Composé à la manière d’un sermon en trois points, cette réflexion de Richard Millet sur la mort ne s’intéresse pas à ses conséquences métaphysiques comme on pourrait s’y attendre. Il est ici question de la mort du monde vivant : de la mort de la foi chrétienne, la mort de la culture occidentale, la mort de la langue.

  Monde où chacun, vidé de toute substance, se retrouve seul. Et le prédicateur de ce sermon n’échappe pas à cette règle, soumis à l’opprobre général que lui a valu le scandale lié à son essai littéraire sur Anders Behring Breivik.

   Mais c’est avec un plaisir malsain, comme empli d’une lucidité morbide, que l’on se délecte de cette fin de monde annoncée et de ce désespoir hargneux que l’on trouve chez les grands penseurs tels Emile Cioran ou Léon Bloy.

  (Un sermon sur la mort).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  J’avais vingt-deux ans. Écrire me paraissait l’unique chemin vers la vérité. Il me fallait vieillir, mais je demeurais prisonnier d’une a-temporalité pathologique, entretenue par la lecture de romans qui me fermaient le monde pour m’ouvrir à son ombre.

  La guerre est venue à moi comme on rencontre une femme.

  (Tuer).

 

 

 

 

 

 

 

 

 


  « Vingt adolescentes – mais leur nombre est infini – entre quinze et vingt ans, dans ce moment si singulier où elles accèdent à elles-mêmes et fourbissent leurs premières armes contre le seul adulte qui sache vraiment les regarder, loin des lourdeurs familiales – dans l’espace clos de la classe, dans la naissance du désir, sa cruauté, ses drames, entre l’innocence et l’inévitable perversion que suscite l’apprentissage.

  On me vouera aux gémonies, on ne voudra pas me croire : le trouble est plus scandaleux que la pornographie – laquelle n’est que le moment exceptionnel de la pruderie. Je ne cherche pourtant qu’à sauver ces visages, ces voix, ces sourires et ces gestes, ces amours qui ont lieu fugitivement, pendant la grâce adolescente, et dont je veux croire, en franc-tireur amoureux, qu’elles existèrent mieux que bien des amours adultes »
 
 La première édition est illustrée par Ernest-Pignon-Ernest ; la seconde par Sarah Kaliski.

   (Autres jeunes filles).
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

   On s'attend à la nuit et on est dessaisi devant un corps féminin. La lumière est notre lot, une fois chassés du ventre maternel. La lumière est peut-être une nuit plus obscure que celle qui achève le jour.

  Nous sommes nus, et la distance qu'il y a d'un sexe à un autre est plus infranchissable que l'eau de tout miroir... Richard Millet

 (Sacrifice).

 

 

 

 

 

  





  « Elle a été ce cri comme on est pierre ou flamme, ou comme le vent hurle, et déchue de tout sens, puis reclouée à elle-même, étrangère à sa propre mort, a-t-on dit. Or, moi qui fus en quelque sorte crié par elle, en comprenant que je mourrais un jour, je témoigne qu’elle ne s’est pas toute entière élevée dans les airs, comme on l’a aussi prétendu, mais que quelque chose est monté au ciel dans le temps même où elle s’affaissait, devenait cendre et mot, entrait dans nos bouches pour y trouver sa gloire. »

 
 Illustrations et mise en page de José San Martin

  (Le cri).

 

 

 

 

 


 

 



  « Nous sommes ainsi constitués que notre corps, notre sang, notre histoire ne nous contentent pas. Il nous faut sans cesse d'autres corps, les songes des autres, de nouveaux récits.

  Nous existons par ce qu'on dit de nous autant que par ce que nous disons d'autrui : les mots sont notre vrai sang, murmurait Anton, que je faisais mine de comprendre en songeant que l'autre côté était peut-être dans les mots et que c'était de cette façon qu'il pouvait être mon père : en m'amenant vers un récit inconnu. »


  illustrations et mise en page de José San Martin.

  (La muraille de houx).