Le dernier numéro de Causeur
s'intitule « Pourquoi tant de haine de soi ? La France toujours coupable.
Les Français seraient-ils un peu masos ?
Cette haine de soi ne relève pas de la psychologie, mais de
la politique. Plus précisément, c'est la principale arme idéologique de
la gauche pour se maintenir au pouvoir en désignant le « camp du mal »,
qui correspond peu ou prou à la « France d'avant ». A force de
criminaliser tout ce qui se rapporte au passé de la France, esclavagiste,
coloniale, pétainiste et j'en passe, la Gauche est devenue le Parti de
l'Autre lumineuse formule de Finkielkraut. Je parle de la gauche au sens
culturel du terme : cette politique pénitentielle a largement été portée
par la droite, notamment par Chirac, véritable athlète de la repentance.
Pour être à la hauteur de son universalisme, la France devrait non
seulement demander pardon à tous les groupes qu'elle a offensés ou
maltraités dans l'histoire, mais aussi cesser d'être elle-même pour que
ceux qu'elle accueille puissent, eux, rester eux-mêmes.
Ne faut-il pas, effectivement, faire place à ceux qui
arrivent ?
Faire place aux individus, évidemment ; s'agissant de leurs
traditions et de leurs cultures, nous avons un droit d'inventaire. Si
les nations ne sont que des contenants dotés de règles juridiques il n'y
a plus de nations. Mais surtout, ce qu'on remarque peu, c'est que cette
haine de soi est toujours une haine de la France d'en face - incarnée
selon les circonstances par le beauf, le réac, le manif pourtous, le
mâle-blanc-hétérosexuel et bien sûr le lepéniste. Il y a là une
entourloupe de taille.
La véritable entourloupe est là : la Gauche adore se battre la
coulpe, mais sur la poitrine des autres. Et ces autres, coupables par
nature, ont toujours plus ou moins la tête du « Français de souche » -
ce qui ne laisse pas d'être paradoxal….
Le résultat, c'est un double-lien permanent : nous sommes sommés de nous
extasier devant les merveilles de la diversité et les bienfaits de
l'immigration, mais il est interdit d'observer que cette immigration a
changé le visage de la France (et encore plus de nous en inquiéter).
Autrement dit, nous devons adorer la différence mais nous ne devons pas
la voir. Il y a de quoi rendre fou….
Justement, au dîner du CRIF, François Hollande a parlé de «
Français de souche. » Vous semblez choquée que cela ait pu choquer, mais
cette expression n'a pas beaucoup de sens. Un « Français de souche »,
qu'est-ce que c'est ?
Elle n'a peut-être pas de sens, et en tout cas, aucune validité
scientifique et encore moins de légitimité juridique , mais tout le
monde sait ce que c'est - ce n'est pas le synonyme de « blanc », ni de «
catholique », bien que cela n'ait pas rien à voir, disons que c'est une
façon de parler des autochtones, groupe aux contours flous, bien sûr (mais
il est tout aussi difficile de définir ce qu'est un juif, un arabe, un
musulman).
Le mot même implique une marque d'ancienneté, un droit d'aînesse conféré
non pas aux individus mais à leurs mœurs et à leurs usages. Si la gauche
pousse des cris d'orfraies dès que le mot est prononcé, même par
François Hollande et même de façon dépréciative, c'est parce qu'elle nie
avec la dernière énergie l'existence de la chose. Il n'y a pas de peuple
français, ni d'identité française, mais simplement des citoyens égaux,
quoique certains soient structurellement par essence victimes et
d'autres structurellement par essence coupables.
Tout le monde devrait donc voir sa culture reconnue, sauf les héritiers
de la culture française. Le résultat, c'est un double-lien permanent:
nous sommes sommés de nous extasier devant les merveilles de la
diversité et les bienfaits de l'immigration, mais il est interdit
d'observer que cette immigration a changé le visage de la France (et
encore plus de nous en inquiéter). Autrement dit, nous devons adorer la
différence mais nous ne devons pas la voir. Il y a de quoi rendre fou….
Vous êtes vous-même descendante d'une famille de Juifs
séfarades algériens installés au Maroc. Vous considérez-vous comme une «
Française de souche » ?
Evidemment, et un Algérien ou un Malien arrivé hier ou disons
avant-hier peuvent en dire autant. S'il s'agit, comme je l'ai dit, d'une
question de mœurs plus que d'origine, on peut affirmer : on ne nait pas
Français de souche, on le devient ! C'est exactement le sens de la
formule de Malika Sorel qui dit qu'immigrer, c'est changer de généalogie.
N'est-on pas en train d'installer une distinction malsaine
entre les Français ? Quelle est la différence entre un Français et un «
Français de souche » ?
Encore une fois, sur le plan du droit, il n'y a aucune différence
entre un « de souche » et un « issu de ». Mais l'un est un héritier en
droite ligne de la culture majoritaire, l'autre doit se l'approprier.
Cette différence d'héritage justifie pleinement, par exemple, que Noël
soit un jour férié et que Kippour et l'Aïd ne le soient pas….
Voyons nous poindre un communautarisme des « petits
blancs » ?
Ce qui pousse à la formation de ce communautarisme, c'est
précisément que, dans le schéma que j'ai décrit, les seuls qui ne
puissent pas revendiquer une identité, ce sont les « de souche ». Alors,
ils se vivent, eux aussi, comme une minorité ou plutôt comme une
majorité opprimée… Et le même phénomène joue pour les catholiques, qui
ont de surcroît l'impression, justifiée d'ailleurs, qu'on se moque de
leur religion bien plus que des autres…
La crise économique et sociale que nous traversons depuis
quatre décennies n'a-t-elle pas aussi sa part de responsabilité ?
Il serait idiot de le nier. De même que les conflits se règlent
plus facilement dans une organisation en ascension, les tensions sont
plus faciles à apaiser dans un pays en croissance. Cela dit, ce n'est
pas le chômage qui nous a empêchés de fixer des règles claires à l'islam,
d'imposer la laïcité, de combattre la délinquance….
Vous écrivez « La haine de soi française masque le plus
souvent la haine de la France d'en bas ». ..
Oui, la France d'en face que la Gauche accable de son mépris est en
partie la France d'en bas - le populo qui sent mauvais et vote mal.
Cette France ne cesse depuis trente ans de proclamer sa défiance envers
les élites. Le problème, c'est que la seule expression politique de
cette défiance, c'est le vote FN. Et il y a pas mal de raisons, même
quand on en a assez de « l'UMPS », de ne pas voter pour lui.
Cela dit, si on s'obstine à ne pas répondre aux angoisses de ces
électeurs et si on se contente de pointer le revolver FN sur la tempe
des électeurs, on finira par le faire accéder au pouvoir.
« La France a été une chance pour vous » confiez-vous le mois
dernier. Diriez-vous la même chose si vous étiez née aujourd'hui ?
Tant qu'on n'a pas liquidé Racine, Balzac et les autres, c'est une
immense chance de recevoir la France en héritage…. En attendant, si
j'étais aujourd'hui en âge d'entrer en sixième à Epinay sur Seine comme
ce fut le cas il y a quelques années…, pourrais-je encore compter sur
l'école de la République pour me le transmettre, cet héritage ?
Vous parlez de « haine de la France ». Mais reste-t-il
vraiment quelque chose à aimer ?
Demandez-le à tous ceux qui risquent leur vie pour venir vivre ici.
Et rappelez-vous qu'après le 7 janvier, tant de gens étaient heureux de
pouvoir se dire « fiers d'être français » sans se faire insulter. Alors
oui, à en juger par la ferveur avec laquelle une immense majorité de
Français se déclare prête à le défendre, ce quelque chose doit exister !