Denis TILLINAC    

 

 

    Vu de ma fenêtre

  Ménard, de moins en moins ... seul

 Que les inquisiteurs prennent garde : ils seront bientôt plus isolés dans l'opinion que les amis du maire de Béziers !

 L'autre semaine, j'étais à Béziers à l'invitation de son maire, Robert Ménard. Une aimable quiétude règne dans cette ville d'Oc qui a fait le deuil de sa gloire rugbystique d'antan et semble sortir de sa léthargie. Ménard y jouit d'une popularité indéniable ; s'il se représente, il sera sûrement réélu, peut-être même au premier tour. D'ailleurs, les candidats qu'il soutenait dans les trois cantons de la ville ont été élus au dernier scrutin départemental. Ménard a remporté la mairie à la hussarde, à l'artisanale et à l'économie, sans affiliation partisane. Mais avec deux atouts maîtres : la sincérité et le courage.

  Certes, il a été soutenu par le Front national et par Debout la France, le parti de Nicolas Dupont-Aignan. La droite " officielle " serait mal venue de le lui reprocher. On sait que cet ancien secrétaire général de Reporters sans frontières a été diabolisé jusqu'au délire par la noria médiatique parisienne pour avoir tenu des positions en phase avec la sensibilité de droite, au sens large du terme, sur les sujets dits " sociétaux ", entre autres l'immigration et le multiculturalisme. Or, l'UMP de l'époque, au lieu de le défendre comme l'eussent exigé la morale et son propre intérêt, a relayé stupidement l'omerta imposée par les milieux gauchisants.

  Tricard sur toutes les antennes, voué à une solitude éprouvante, Ménard a rejoint par le fait le camp des proscrits, celui de Zemmour, de Finkielkraut, de Villiers et de Nadine Morano, dernière victime en date de la même inquisition. A Béziers, Les Républicains et le PS se sont ouvertement coalisés pour empêcher le maire de présider la communauté d'agglomération et ils lui tirent dans les pattes à jets continus, au détriment du citoyen de base.

  Ainsi, une fois de plus, s'avère la connivence dénoncée par Marine Le Pen entre les partis installés, en un temps où s'aggrave leur discrédit. Dès lors que Ménard, par la thématique de sa campagne traduisait les aspirations de son électorat et de ses militants de base, l'UMP locale se devait de ferrailler à ses côtés au lieu de se saborder en l'offrant au FN, évidemment ravi de l'aubaine.

  L'intérêt de l'exemple bitterrois, c'est d'avoir prouvé par les urnes qu'un homme seul peut désormais chahuter les jeux de rôle du système pourvu qu'il ose braver les tabous mondains. A vrai dire, Ménard n'est plus ce Lucky Luke solitaire ayant réglé leur compte aux Dalton du cru. Outre sa légitimité locale, il s'est attiré d'innombrables sympathies, et pas seulement à droite de la droite. Ici et là, on trouve sa décontraction et ses audaces rafraîchissantes ; on a compris qu'il ne s'était pas fait élire pour tremper son pain dans la gamelle.

  Il dit ce qu'il pense, il croit à ce qu'il dit : ça change du cynisme des uns, de la couardise des autres. Des émules vont peut-être éclore dans les marges de la politicaillerie partisane et la démocratie ne s'en portera que mieux, on en a tous un peu marre des invocations rituelles aux " valeurs républicaines ". Marre des euphémismes, des bémols, des pudibonderies d'une droite qui a peur de ses ombres. Encore plus marre de la moraline touillée dans la marmite des médias officiels.

  Justement, tandis que Robert Ménard improvise une façon inédite d'exercer une responsabilité publique, son épouse, Emmanuelle Duverger, anime Boulevard Voltaire, un journal d'informations générales à bases d'éditos, fondé par le couple avec Dominique Jamet. On vient de fêter son troisième anniversaire. Ce journal accessible sur Internet connaît une audience considérable, et en le consultant on comprend vite pourquoi : on y découvre en temps réel des faits peu ou pas relatés ailleurs, avec des éclairages transversaux qui prennent à revers le conformisme ambiant.
  Alors que s'impose de toute urgence une refondation de la chose politique, ce couple qui n'a pas froid aux yeux trace une perspective somme toute encourageante.
 (Valeurs Actuelles, 15 au 21 octobre 2015).

 

 

 

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        L'imposture des " valeurs républicaines "

    Depuis les attentats du mois de janvier à Paris, l'invocation aux " valeurs républicaines " tourne au moulin à prières. Gauche et droite s'en gargarisent pour légitimer leur mise au rebut du FN, mais Marine Le Pen ne s'en réclame pas moins.
  Tous les éditos, tous les sermons politiques soulignent la nécessité de resserrer les rangs sur les " valeurs républicaines ", talisman pour nous prémunir du communautarisme, panacée pour forger l'armature morale de notre jeunesse. Or, n'en déplaise à la gent prédicatrice, les " valeurs républicaines ", ça n'existe pas. On confond indûment valeur et principe.
  L'honneur, la liberté, l'altruisme, le courage, la probité, la pudeur, l'équité, le respect de soi et d'autrui, la bonté, le discernement, la générosité sont des valeurs, et il serait opportun qu'on les inculquât à l'école. A la fois universelles et modulées par la culture de chaque peuple, elles ne sauraient être l'apanage d'un régime politique déterminé.

  Elles sont aussi enracinées dans les monarchies européennes que dans notre République. Les sujets de Sa Majesté la reine d'Angleterre jouissent de la même liberté que les citoyens français. Ceux des républiques d'Iran, du Soudan, du Pakistan ou de l'ancien empire soviétique en sont privés. Bref, le mot " république " ne recèle en soi aucune " valeur ", et en conséquence il n'a pas la moindre vertu morale.
  Les aléas de notre histoire ont abouti pour l'heure à un consensus sur la forme républicaine de nos institutions et personne n'en conteste la légitimité. Mais c'est juste un principe, héritage lointain de Rome, recyclé à partir de la Révolution et pas très assuré sur ses bases, car enfin, depuis la fin de l'Ancien Régime, la France a déjà consommé cinq
républiques, plus deux empires, deux restaurations et deux régimes bâtards imputables à deux défaites face aux Allemands. Notre attachement à la Marseillaise ne doit pas occulter dans notre imaginaire collectif l'œuvre patiente des Capétiens, des Valois et des Bourbons. Faute de quoi la promotion d'inexistantes " valeurs républicaines " se résumerait à une propagande sectaire visant à éradiquer nos racines.
   A cet égard, le baratin ambiant sur " l'esprit du 11 janvier " inspire quelque suspicion. Le pouvoir socialiste a usé et abusé de l'émotion populaire pour se refaire la cerise. C'est de bonne guerre, et la droite a donné dans le panneau d'une " unité nationale " téléguidée par des idéologues à l'enseigne de " Je suis Charlie " et pimentée à la " laïcité ", autre principe (louable) confondu avec une valeur. 
  Ces confusions sont pernicieuses et pas forcément innocentes. Ce qui manque à tous les étages de la société française, depuis l'école jusqu'aux " élites ", c'est bel et bien une architecture morale reposant sur un socle de valeurs. Des vraies. Les velléités pédagogiques que l'on voit poindre ici et là ne s'y réfèrent nullement, on n'y distingue en filigrane qu'un catéchisme " républicain " de gauche, autant dire une fiction maquillant un déni de mémoire à des fins bassement partisanes. Rien de probant n'en résultera.

   Dans une société aussi matérialiste, où tout incite la jeunesse à ne convoiter que des choses consommables, où les politiques nous parlent exclusivement de taux de croissance, où la vulgarité médiatique menace d'engendrer des fauves amoraux, amnésiques et avides, il serait urgent de renouer avec les valeurs cardinales. Elles ont toutes en commun une exigence d'élévation, comme c'était le cas dans toutes les civilisations quand les modèles du saint, du héros ou du sage équilibraient les pulsions inhérentes à la nature humaine. Aussi longtemps qu'on mettra la barre des aspirations à l'altitude zéro du mercantilisme, " républicain " ou autre, on lâchera dans une jungle sans foi ni loi des être intellectuellement, psychiquement, spirituellement invertébrés. Et on verra surgir de partout des candidats au djihad.
  (Valeurs actuelles, 19 février 2015).

 

 

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     Résistance.
 
  Parce que nos églises, même désaffectées, ne sont pas destinées à devenir des mosquées, Denis Tillinac et “ Valeurs actuelles ” lancent un appel pour préserver ces sentinelles de l’âme française.





   Certaines déclarations récentes appelant à ce que des églises soient transformées en mosquées ont provoqué chez les Français une émotion susceptible de favoriser les pires amalgames en ces temps où le terrorisme islamiste ensanglante la planète et commet des crimes en plein Paris. Elles offensent gravement les catholiques, ainsi que de nombreux imams attachés à la singularité de leur foi et de leur pratique cultuelle.

   Une église n’est pas une mosquée, et prétendre que “ les rites sont les mêmes ” relève d’un déni de réalité scandaleux. Croyants, agnostiques ou athées, les Français savent de la science la plus sûre, celle du coeur, ce qu’incarnent les dizaines de milliers de clochers semés sur notre sol par la piété de nos ancêtres : la haute mémoire de notre pays. Ses noces compliquées avec la catholicité romaine. Ses riches heures et ses sombres aussi, quand le peuple se récapitulait sous les voûtes à l’appel du tocsin. Son âme pour tout dire. De Michelet à Marc Bloch, aucun de nos historiens n’a méjugé cette évidence.
   Les maires de nos communes rurales, fussent-ils allergiques au goupillon, entretiennent tous leur église avec une sollicitude filiale. Elle ennoblit leur village ; à tout le moins, elle le patine et ils en conçoivent une fierté légitime.

  L’angélus que sonnent nos clochers scande le temps des hommes depuis belle lurette. Sur celui du tableau de Millet, il a beau n’être qu’un point infime à l’horizon, il atteste une pérennité culturelle par-delà les aléas historiques. Feu le président Mitterrand connaissait les ressorts intimes de l’imaginaire national : un vieux clocher d’église se profilait sur ses affiches électorales, et sa symbolique n’avait pas de connotation cléricale. Elle racontait l’histoire de France dans une langue accessible à tous nos compatriotes. Ils tiennent à la laïcité de l’État et à la liberté de conscience et de culte qu’il lui incombe de protéger.
  Pour autant, ils ne peuvent tolérer la perspective d’une pratique religieuse autre que catholique dans leurs églises. Même celles de nos campagnes, souvent vidées de leurs paroissiens par l’exode rural. Elles continuent de témoigner ; leur silhouette au-dessus des toits contribue à un enracinement mental dont nous avons tous besoin pour étayer notre citoyenneté. Du reste, rien ne prouve qu’elles resteront vides ad vitam aeternam.

  La France n’est pas un espace aléatoire, et elle n’est pas née de la dernière pluie médiatique : quinze siècles d’histoire et de géographie ont déterminé sa personnalité. Cet héritage nous oblige, de quelque souche que nous provenions et de quelque famille politique que nous nous réclamions.
   Inscrits au plus profond de notre paysage intérieur, les églises, les cathédrales, les calvaires et autres lieux de pèlerinage donnent sens et forme à notre patriotisme. Exigeons de nos autorités civiles qu’il soit respecté ! Le confusionnisme trahit une méconnaissance de notre sensibilité et ferait peser une menace sur la concorde civile s’il n’était clai rement récusé au sommet de l’État.
 (15 juillet 2015).

      Denis Tillinac