Depuis
les attentats du mois de janvier à Paris, l'invocation aux " valeurs
républicaines " tourne au moulin à prières. Gauche et droite s'en
gargarisent pour légitimer leur mise au rebut du
FN, mais Marine Le Pen ne s'en réclame pas moins.
Tous les éditos, tous les sermons politiques soulignent la nécessité de
resserrer les rangs sur les " valeurs républicaines ", talisman pour
nous prémunir du communautarisme, panacée pour forger l'armature morale
de notre jeunesse. Or, n'en déplaise à la gent prédicatrice, les "
valeurs républicaines ", ça n'existe pas. On confond indûment valeur et
principe.
L'honneur, la liberté, l'altruisme, le courage, la probité, la pudeur,
l'équité, le respect de soi et d'autrui, la bonté, le discernement, la
générosité sont des valeurs, et il serait opportun qu'on les inculquât à
l'école. A la fois universelles et modulées par la culture de chaque
peuple, elles ne sauraient être l'apanage d'un régime politique
déterminé.
Elles sont aussi enracinées dans les monarchies
européennes que dans notre République. Les sujets de Sa Majesté la reine
d'Angleterre jouissent de la même liberté que les citoyens français.
Ceux des républiques d'Iran, du Soudan, du Pakistan ou de l'ancien
empire soviétique en sont privés. Bref, le mot " république " ne recèle
en soi aucune " valeur ", et en conséquence il n'a pas la moindre vertu
morale.
Les aléas de notre histoire ont abouti pour l'heure à un consensus sur la
forme républicaine de nos institutions et personne n'en conteste la
légitimité. Mais c'est juste un principe, héritage lointain de Rome,
recyclé à partir de la Révolution et pas très assuré sur ses bases, car
enfin, depuis la fin de l'Ancien Régime, la France a déjà consommé cinq
républiques, plus deux empires, deux restaurations et deux régimes
bâtards imputables à deux défaites face aux Allemands. Notre attachement
à la Marseillaise ne doit pas occulter dans notre imaginaire
collectif l'œuvre patiente des Capétiens,
des Valois et des Bourbons. Faute de quoi la promotion d'inexistantes "
valeurs républicaines " se résumerait à une propagande sectaire visant à
éradiquer nos racines.
A cet égard, le baratin ambiant sur " l'esprit du 11 janvier "
inspire quelque suspicion. Le pouvoir socialiste a usé et abusé de
l'émotion populaire pour se refaire la cerise. C'est de bonne guerre, et
la droite a donné dans le panneau d'une " unité nationale " téléguidée
par des idéologues à l'enseigne de " Je suis Charlie " et pimentée à la
" laïcité ", autre principe (louable) confondu avec une valeur.
Ces confusions sont pernicieuses et pas forcément innocentes. Ce qui
manque à tous les étages de la société française, depuis l'école
jusqu'aux " élites ", c'est bel et bien une architecture morale reposant
sur un socle de valeurs. Des vraies. Les velléités pédagogiques que l'on
voit poindre ici et là ne s'y réfèrent nullement, on n'y distingue en
filigrane qu'un catéchisme " républicain " de gauche, autant dire une
fiction maquillant un déni de mémoire à des fins bassement partisanes.
Rien de probant n'en résultera.
Dans une société aussi matérialiste, où
tout incite la jeunesse à ne convoiter que des choses consommables, où
les politiques nous parlent exclusivement de taux de croissance, où la
vulgarité médiatique menace d'engendrer des fauves amoraux, amnésiques
et avides, il serait urgent de renouer avec les valeurs cardinales.
Elles ont toutes en commun une exigence d'élévation, comme c'était le
cas dans toutes les civilisations quand les modèles du saint, du héros
ou du sage équilibraient les pulsions inhérentes à la nature humaine.
Aussi longtemps qu'on mettra la barre des aspirations à l'altitude zéro
du mercantilisme, " républicain " ou autre, on lâchera dans une jungle
sans foi ni loi des être intellectuellement, psychiquement,
spirituellement invertébrés. Et on verra surgir de partout des candidats
au djihad.
(Valeurs actuelles, 19 février 2015).
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Résistance.
Parce que nos églises, même désaffectées, ne sont pas destinées à devenir
des mosquées, Denis Tillinac et “ Valeurs actuelles ” lancent un appel
pour préserver ces sentinelles de l’âme française.
Certaines déclarations récentes appelant à ce que des églises
soient transformées en mosquées ont provoqué chez les Français une
émotion susceptible de favoriser les pires amalgames en ces temps où le
terrorisme islamiste ensanglante la planète et commet des crimes en
plein Paris. Elles offensent gravement les catholiques, ainsi que de
nombreux imams attachés à la singularité de leur foi et de leur pratique
cultuelle.
Une église n’est pas une mosquée, et prétendre que “ les rites sont
les mêmes ” relève d’un déni de réalité scandaleux. Croyants,
agnostiques ou athées, les Français savent de la science la plus sûre,
celle du coeur, ce qu’incarnent les dizaines de milliers de clochers
semés sur notre sol par la piété de nos ancêtres : la haute mémoire de
notre pays. Ses noces compliquées avec la catholicité romaine. Ses
riches heures et ses sombres aussi, quand le peuple se récapitulait sous
les voûtes à l’appel du tocsin. Son âme pour tout dire. De Michelet à
Marc Bloch, aucun de nos historiens n’a méjugé cette évidence.
Les maires de nos communes rurales, fussent-ils allergiques au
goupillon, entretiennent tous leur église avec une sollicitude filiale.
Elle ennoblit leur village ; à tout le moins, elle le patine et ils en
conçoivent une fierté légitime.
L’angélus que sonnent nos clochers scande le temps des hommes depuis
belle lurette. Sur celui du tableau de Millet, il a beau n’être qu’un
point infime à l’horizon, il atteste une pérennité culturelle par-delà
les aléas historiques. Feu le président Mitterrand connaissait les
ressorts intimes de l’imaginaire national : un vieux clocher d’église se
profilait sur ses affiches électorales, et sa symbolique n’avait pas de
connotation cléricale. Elle racontait l’histoire de France dans une
langue accessible à tous nos compatriotes. Ils tiennent à la laïcité de
l’État et à la liberté de conscience et de culte qu’il lui incombe de
protéger.
Pour autant, ils ne peuvent tolérer la perspective d’une pratique
religieuse autre que catholique dans leurs églises. Même celles de nos
campagnes, souvent vidées de leurs paroissiens par l’exode rural. Elles
continuent de témoigner ; leur silhouette au-dessus des toits contribue
à un enracinement mental dont nous avons tous besoin pour étayer notre
citoyenneté. Du reste, rien ne prouve qu’elles resteront vides ad vitam
aeternam.
La France n’est pas un espace aléatoire, et elle n’est pas née de la
dernière pluie médiatique : quinze siècles d’histoire et de géographie
ont déterminé sa personnalité. Cet héritage nous oblige, de quelque
souche que nous provenions et de quelque famille politique que nous nous
réclamions.
Inscrits au plus profond de notre paysage intérieur, les églises,
les cathédrales, les calvaires et autres lieux de pèlerinage donnent
sens et forme à notre patriotisme. Exigeons de nos autorités civiles
qu’il soit respecté ! Le confusionnisme trahit une méconnaissance de
notre sensibilité et ferait peser une menace sur la concorde civile s’il
n’était clai rement récusé au sommet de l’État. (15 juillet 2015).