Ivan Rioufol appartient, en France, aux plus féroces ferrailleurs d’une
droite arc-boutée dans la défense de la laïcité et d’une certaine
identité républicaine. Son dernier ouvrage le prouve une fois encore.
A qui s’adresse, au fond, « De l’Urgence d’être
réactionnaire », votre dernier livre aux allures de brûlot?
Pour vous dire la vérité, cela correspond à une commande. L’essentiel de
mon propos, je l’écris depuis longtemps, dans Le Figaro, à
travers mon blog ou au fil des pages de mes autres essais. C’est Roland
Jaccard, qui est directeur de collection aux Presses Universitaires
de France (PUF), qui m’a enjoint d’écrire un livre sur ce que
j’entends par réactionnaire.
Pourquoi, parce que c’est une accusation qui vous est souvent
lancée?
Oui, et voilà ma définition, qui est celle du Larousse de 1929 : celui
qui prête son concours à une réaction politique. Je suis donc un
réactionnaire. Vieux réactionnaire, même, car voilà longtemps que je
m’applique à ne pas adhérer au discours commun.
Une sorte de posture, alors?
Non, une réaction contre ce qui m’apparaît comme une erreur ou une
absurdité. Depuis un moment maintenant, je résiste. Pour répondre à
votre première question, ce livre s’adresse donc à tous ceux qui, comme
moi, en ont assez de ne pas se faire entendre. A la France silencieuse,
absente du discours médiatique, à la recherche désormais de
représentants politiques.
Plutôt de droite quand même...
J’émets l’hypothèse que la gauche est aussi partagée par ce sentiment
d’indignation qu’elle n’ose pas exprimer. Si j’avais à me justifier
d’être de droite, je rappellerais que je crois défendre des principes de
gauche, qu’elle a apporté dans le débat public depuis le XIXe siècle: la
défense de la démocratie et de la liberté d’expression, la défense des
droits des femmes, la séparation entre l’Eglise et l’Etat. Bref, tous
ces principes fondant aujourd’hui notre démocratie. Voilà pourquoi je
parle d’un néo-réactionnaire, déçu de tous bords politiques.
Vous parlez de refus d’un déclin. Pas plutôt d’une évolution, à la
fois sociale et politique?
Si vous voulez. Le refus d’un modernisme qui confond la modernité et la
fuite en avant. Alors qu’elle ne me semble plus créer aujourd’hui que du
déclin. Un déclin économique, mais aussi moral et civique. Devant la
succession des crises, il m’est difficile de voir un progrès.
Vous parlez de la crise de l’Etat-providence, largement
admise, mais aussi de ce que vous appelez l’Etat-nation.
Oui j’essaie d’en décrire les causes, dont une sorte de haine ou en tout
cas d’oubli de soi, conséquence notamment d’un politiquement correct qui
a voulu privilégier les minorités au détriment de l’intérêt général. On
a survalorisé ces minorités en les enfermant dans leur identité, au
point de créer des communautarismes. Des « isolats », à la fois
ethniques, culturels et religieux, qui eux-mêmes se revendiquent d’un
multiculturalisme.
Et où est le mal?
La culture française, qui a 1500 ans si on la fait remonter à Clovis,
n’est plus alors qu’une équivalence avec d’autres cultures nouvelles en
France, avec lesquelles elle aurait à partager le même lieu public.
C’est le discours défendu par la gauche hexagonale, mais aussi par des
associations au pouvoir de nuisance important comme SOS Racisme. Mais,
depuis trente ans, les Français n’ont pas pu dire ce qu’ils pensaient de
cette nouvelle conception de la société, qui est en contradiction totale
avec l’ADN de notre pays.
C’est-à-dire?
C’est-à-dire une culture par assimilation, dans laquelle les autres se
fondent. Et non un système communautaire à l’anglo-saxonne, qui ne
correspond pas à notre histoire. Il en résulte une profonde crise
identitaire, plus importante encore que la crise économique.
A quoi correspond cette crise?
Le peuple se rend compte qu’on a décidé pour lui, en prenant des options
graves mais heureusement réversibles puisque ce communautarisme, s’il se
développe, ne correspond encore qu’à un épiphénomène. Pourtant, si l’on
n’agit pas, ces appendices ethniques risquent d’attiser de graves
conflits interethniques.
La majorité de ceux qui ne sont pas ce que vous appelez des «
Français de souche » n’entrent-ils pas dans ce contrat républicain ?
Sans doute, et c’est heureux. Mais ce processus d’assimilation, qui a
très bien fonctionné jusque dans les années 1960, se délite. Aujourd’hui,
il se heurte à un vrai problème posé par des communautés extra-européennes,
et notamment musulmanes, porteuses elles-mêmes d’une forte identité et
d’une culture autres qu’elles revendiquent. Tous les sondages montrent
que les Français voient un vrai problème d’intégration avec ces
communautés-là. Et curieusement les questions et les enjeux posés, très
présents dans le débat du public, n’apparaissent guère dans le débat
public officiel.
Les médias traditionnels ne font tout simplement pas leur travail.
Une forme de censure?
De déconnexion des élites et des médias suiveurs en tout cas. Le
discours publié laisse entendre que tout va bien sur ce point, alors
qu’il suffit de se mettre à l’écoute de la caisse de résonance que
constitue internet pour voir que l’on passe à côté du sujet en évoquant
la seule crise économique. La crise identitaire est commune à tous les
pays européens, ainsi qu’à ceux du Maghreb. Là-bas, face à la
mondialisation, ce réveil identitaire a donné le Printemps arabe, qui
est d’abord une révolte culturelle.
Mais quelle différence faites-vous entre ce réveil
identitaire que vous appelez de vos vœux et celui de l’extrême droite?
En parlant de ce type de sujet effectivement très complexe, on se
retrouve sur le fil de l’extrémisme. A mon sens, le risque de
radicalisation apparaît précisément devant l’ignorance de cette demande
identitaire, sa non-représentation politique. On peut alors craindre de
voir émerger un discours raciste. Je ne dis pas qu’il faut se refermer
sur nous-mêmes. Mais qu’il faut que nous conservions la force et la
possibilité d’imposer nos règles aux arrivants.
Pour vous, le Front national n’est-il pas par essence porteur
de cette dérive-là?
Non, je le considère encore comme un parti républicain qui respecte nos
règles.
Il le reste ou il l’est redevenu depuis que Jean-Marie Le Pen
a laissé les rênes à sa fille au discours plus consensuel?
Il l’a toujours été, sinon il aurait été interdit. Même s’il est vrai
que Marine Le Pen a effectué un travail de recentrage, malgré la
persistance de liens avec le noyau dur de l’extrême droite. Encore une
fois, ignorez le peuple qui gronde et vous laissez le champ libre à des
visions clairement xénophobes, à un rejet total de l’étranger.
Mais au fond, sur ce point en tout cas, vous semblez
vous-même assez en accord avec ce que dit Marine Le Pen...
Le FN est un parti qui peut être dangereux, parce que, pris tel quel,
son discours n’est pas réellement critiquable. Mais aussi parce qu’il
exprime quelque chose qui devrait être dit par la gauche, à propos de la
laïcité, de la défense de la liberté d’expression ou de la dénonciation
du communautarisme. Il faut que les hommes politiques comprennent que si
le FN monte dans les sondages, c’est tout simplement parce qu’il dit ce
que les Français veulent entendre.
« On est tombé dans ce politiquement correct que je dénonce »
N’est-ce pas ce que l’on nomme le populisme?
Non. Il s’agit d’un mouvement naturel de protection de ce qui nous
constitue en tant qu’appartenant à un même peuple.
Du coup, j’imagine que vous regrettez le débat avorté sur
l’identité nationale lancé par le président français?
Je l’appelais de mes vœux. Il n’a pas été au bout parce que le
Gouvernement n’a pas osé aborder de front ce qui en émergeait, soit la
place de l’islam radical dans une démocratie. On a crié au risque
d’islamophobie, on a fermé la boutique, et on est retombé dans ce
politiquement correct que je dénonce.
Vous parlez tout de même énormément de l’islam dans ce livre.
Faut-il y voir une sorte d’obsession?
J’en parle d’autant plus que ce sujet n’est jamais vraiment abordé sur
la place publique. Je ne dis pas qu’il y a un problème avec les
musulmans en général. Beaucoup sont intégrés et ont leur place dans
notre société. J’évoque ce risque, et ce qui constitue désormais
davantage que des prémices, de réislamisation de ces isolats qui
s’étendent.
Que faire avec ces tiraillements entre radicalisation et
modernité qui se retrouvent au sein même de l’islam?
Ecouter ceux des musulmans qui aspirent à la démocratie laïque, et
notamment la communauté kabyle.
Il n’y a donc pas un islamiste qui sommeille derrière
tout musulman?
Encore une fois, l’islam n’est pas un problème en soi. L’islamisme, qui
est une idéologie affirmant que le Coran est notre Constitution, oui.
Lors des dernières élections tunisiennes, les Tunisiens en France ont
voté à 40% pour le parti islamiste. Ils ont donc choisi un parti qui
refuse les règles de la démocratie libérale dans laquelle ils ont choisi
de vivre. C’est inquiétant.
Ivan Rioufol se présente comme un
néo-réactionnaire, un démocrate déçu de tous bords politiques.
L’une des raisons du succès de l’islamisme dans les pays européens
réside pour certains dans le « ventre mou » qu’est devenu le
christianisme. Un regret?
La culture européenne, judéo-chrétienne, a été porteuse de toutes les
libérations, de toutes les innovations. J’aimerais que l’on se montre un
peu plus prompt à défendre ces valeurs qui ont fait la modernité. Il y a
comme un oubli de soi, une culpabilisation. Ce n’est pas irréversible.
Il suffirait d’un sursaut qui, s’il n’est pas en prise avec les élites,
est appelé de ses vœux par la France silencieuse. Elle le clame,
notamment sur le Web.
Alors, justement, la Toile mondiale. On peine à comprendre
votre vision idyllique. Ne représente-t-elle pas l’oubli du passé, la
fuite dans le virtuel, la superficialité, le faux-semblant?
Je ne veux voir que son côté positif : cet outil de communication qui
permet de contourner les médias traditionnels qui ne font tout
simplement pas leur travail. C’est de là que part actuellement tout
mouvement d’opinion débordant le ronronnement officiel. Je mets beaucoup
d’espoir dans ce formidable outil.
Et alors, comment fait-on?
Eh bien on apprend à dire non. On cesse de toujours vouloir jouer
l’apaisement, de croire que parce qu’elle l’est, une minorité a toujours
raison. On essaie surtout d’être fier de cette culture occidentale
européenne qui a été celle de la recherche, de la curiosité et de la
culture. En accueillant à bras ouverts tous ceux qui veulent en être.