Après une semaine d'appel de la gauche contre le Front National,
l'essayiste décrypte le sentiment de culpabilité que l'on fait
supporter, selon elle, à la France d'en bas
Elisabeth Lévy est journaliste, essayiste et polémiste.
Elle dirige le magazine Causeur
et intervient régulièrement sur RTL.
Le dernier numéro de Causeur s'intitule « Pourquoi
tant de haine de soi ? La France toujours coupable. Les Français
seraient-ils un peu masos ? "
Cette haine de soi ne relève pas de la psychologie, mais
de la politique. Plus précisément, c'est la principale arme idéologique
de la gauche pour se maintenir au pouvoir en désignant le « camp du mal
», qui correspond peu ou prou à la « France d'avant ». A force de
criminaliser tout ce qui se rapporte au passé de la France, esclavagiste,
coloniale, pétainiste et j'en passe, la Gauche est devenue le Parti de
l'Autre lumineuse formule de Finkielkraut.
Je parle de la gauche au sens culturel du terme: cette politique
pénitentielle a largement été portée par la droite, notamment par
Chirac, véritable athlète de la repentance. Pour être à la hauteur de
son universalisme, la France devrait non seulement demander pardon à
tous les groupes qu'elle a offensés ou maltraités dans l'histoire, mais
aussi cesser d'être elle-même pour que ceux qu'elle accueille puissent,
eux, rester eux-mêmes.
Ne faut-il pas, effectivement, faire place à ceux qui
arrivent ?
Faire place aux individus, évidemment ; s'agissant de leurs traditions
et de leurs cultures, nous avons un droit d'inventaire. Si les nations
ne sont que des contenants dotés de règles juridiques il n'y a plus de
nations. Mais surtout, ce qu'on remarque peu, c'est que cette haine de
soi est toujours une haine de la France d'en face - incarnée selon les
circonstances par le beauf, le réac, le manif pourtous, le
mâle-blanc-hétérosexuel et bien sûr le lepéniste. Il y a là une
entourloupe de taille. La véritable entourloupe est là : la Gauche adore
se battre la coulpe, mais sur la poitrine des autres. Et ces autres,
coupables par nature, ont toujours plus ou moins la tête du « Français
de souche » - ce qui ne laisse pas d'être paradoxal….
Le résultat, c'est un double-lien permanent : nous sommes sommés de nous
extasier devant les merveilles de la diversité et les bienfaits de
l'immigration, mais il est interdit d'observer que cette immigration a
changé le visage de la France (et encore plus de nous en inquiéter).
Autrement dit, nous devons adorer la différence mais nous ne devons pas
la voir. Il y a de quoi rendre fou….
Justement, au dîner du CRIF, François Hollande a parlé de «Français
de souche.» Vous semblez choquée que cela ait pu choquer, mais cette
expression n'a pas beaucoup de sens. Un «Français de souche», qu'est-ce
que c'est ?
Elle n'a peut-être pas de sens, et en tout cas, aucune validité
scientifique et encore moins de légitimité juridique , mais tout le
monde sait ce que c'est - ce n'est pas le synonyme de «blanc», ni de «catholique»,
bien que cela n'ait pas rien à voir, disons que c'est une façon de
parler des autochtones, groupe aux contours flous, bien sûr (mais il est
tout aussi difficile de définir ce qu'est un juif, un arabe, un
musulman)Le mot même implique une marque d'ancienneté, un droit
d'aînesse conféré non pas aux individus mais à leurs mœurs et à leurs
usages. Si la gauche pousse des cris d'orfraies dès que le mot est
prononcé, même par François Hollande et même de façon dépréciative,
c'est parce qu'elle nie avec la dernière énergie l'existence de la
chose. Il n'y a pas de peuple français, ni d'identité française, mais
simplement des citoyens égaux, quoique certains soient structurellement
par essence victimes et d'autres structurellement par essence coupables.
Tout le monde devrait donc voir sa culture reconnue, sauf les héritiers
de la culture française. Le résultat, c'est un double-lien permanent:
nous sommes sommés de nous extasier devant les merveilles de la
diversité et les bienfaits de l'immigration, mais il est interdit
d'observer que cette immigration a changé le visage de la France (et
encore plus de nous en inquiéter). Autrement dit, nous devons adorer la
différence mais nous ne devons pas la voir. Il y a de quoi rendre fou….
Vous êtes vous-même descendante d'une famille de Juifs
séfarades algériens installés au Maroc. Vous considérez-vous comme une «Française
de souche» ?
Evidemment, et un Algérien ou un Malien arrivé hier ou disons avant-hier
peuvent en dire autant. S'il s'agit, comme je l'ai dit, d'une question
de mœurs plus que d'origine, on peut affirmer: on ne nait pas Français
de souche, on le devient ! C'est exactement le sens de la formule de
Malika Sorel qui dit qu'immigrer, c'est changer de généalogie.
N'est-on pas en train d'installer une distinction malsaine
entre les Français ? Quelle est la différence entre un Français et un «
Français de souche » ?
Encore une fois, sur le plan du droit, il n'y a aucune différence entre
un « de souche » et un « issu de ». Mais l'un est un héritier en droite
ligne de la culture majoritaire, l'autre doit se l'approprier. Cette
différence d'héritage justifie pleinement, par exemple, que Noël soit un
jour férié et que Kippour et l'Aïd ne le soient pas….
Voyons nous poindre un communautarisme des « petits blancs »
?
Ce qui pousse à la formation de ce communautarisme, c'est précisément
que, dans le schéma que j'ai décrit, les seuls qui ne puissent pas
revendiquer une identité, ce sont les « de souche ». Alors, ils se
vivent, eux aussi, comme une minorité ou plutôt comme une majorité
opprimée… Et le même phénomène joue pour les catholiques, qui ont de
surcroît l'impression, justifiée d'ailleurs, qu'on se moque de leur
religion bien plus que des autres…
La crise économique et sociale que nous traversons depuis quatre
décennies n'a-t-elle pas aussi sa part de responsabilité ?
Il serait idiot de le nier. De même que les conflits se règlent plus
facilement dans une organisation en ascension, les tensions sont plus
faciles à apaiser dans un pays en croissance. Cela dit, ce n'est pas le
chômage qui nous a empêchés de fixer des règles claires à l'islam,
d'imposer la laïcité, de combattre la délinquance….
Vous écrivez « La haine de soi française masque le plus
souvent la haine de la France d'en bas ». ..
Oui, la France d'en face que la Gauche accable de son mépris est en
partie la France d'en bas - le populo qui sent mauvais et vote mal.
Cette France ne cesse depuis trente ans de proclamer sa défiance envers
les élites. Le problème, c'est que la seule expression politique de
cette défiance, c'est le vote FN. Et il y a pas mal de raisons, même
quand on en a assez de « l'UMPS », de ne pas voter pour lui. Cela dit,
si on s'obstine à ne pas répondre aux angoisses de ces électeurs et si
on se contente de pointer le revolver FN sur la tempe des électeurs, on
finira par le faire accéder au pouvoir.
« La France a été une chance pour vous » confiez-vous le mois
dernier. Diriez-vous la même chose si vous étiez née aujourd'hui ?
Tant qu'on n'a pas liquidé Racine, Balzac et les autres, c'est une
immense chance de recevoir la France en héritage…. En attendant, si
j'étais aujourd'hui en âge d'entrer en sixième à Epinay sur Seine comme
ce fut le cas il y a quelques années…, pourrais-je encore compter sur
l'école de la République pour me le transmettre, cet héritage ?
Vous parlez de « haine de la France ». Mais reste-t-il
vraiment quelque chose à aimer ?
Demandez-le à tous ceux qui risquent leur vie pour venir vivre ici. Et
rappelez-vous qu'après le 7 janvier, tant de gens étaient heureux de
pouvoir se dire « fiers d'être français » sans se faire insulter. Alors
oui, à en juger par la ferveur avec laquelle une immense majorité de
Français se déclare prête à le défendre, ce quelque chose doit exister !